Honoré

Viviane Montagnon

Honoré

L’Astre Bleu Editions – 2020

Avec Honoré, Viviane Montagnon n’en est pas à son coup d’essai. Poète et romancière, elle a déjà publié des nouvelles, des pièces de théâtre, de la poésie, ainsi que la biographie de Paul Montagnon (Paul Montagnon – Créer sa vie, EMCC, 2017), passionnant parcours de vie d’un industriel autodidacte spécialiste du PVC, des imperméables jusqu’aux petites cupules, vous savez, celles qui servent aux kits de détection de maladies infectieuses.

Son dernier bijou littéraire, mi-poésie mi-roman, est un concentré de couleurs. La poésie des mots et la poésie de l’âme.

Honoré est un vieux chevrier des Cévennes. Né avec la Grande Guerre, tenu pour simplet dès son plus jeune âge, il vit soixante-dix ans en marge de son village, illettré et taiseux, jusqu’au jour où sa vie bascule dans la lumière.

Il ne faut rien raconter d’autre sur ce vieux bonhomme. Ni la trahison des villageois, ni l’amitié avec l’enfant, ni sa rédemption. Honoré n’a pas les mots pour évoquer ses joies ou ses peines. Le mieux est de ne pas traduire ses pensées et de laisser s’exprimer le pinceau de Viviane Montagnon, pinceau est bien le mot adapté, ici.

Un mois plus tard, à la lumière diffuse des lampes à pétrole, Honoré passe et repasse son index sur la surface douce et polie de ce qu’il espère être les futures couleurs de sa vie. Comme il s’applique à répéter ce geste, une timide lumière d’hiver se glisse à travers les vitres. Le vieil homme qui a dégagé la fenêtre de sa gangue de neige le matin même se lève, l’ouvre toute grande et contemple la blancheur du paysage comme une toile vierge qui n’attendrait que le peintre pour se révéler.

Julie Estève ne m’avait pas convaincue, dans sa description de la solitude du Simple (Editions Stock, 2018). Il m’y manquait l’âme du personnage principal, écrasée par les figures de style utilisées à outrance pour placer l’écriture dans la tête du héros. Viviane Montagnon n’en a pas besoin et Honoré Descombes, le taiseux mis au banc de la société dans ses Cévennes natales, est bien plus authentique qu’Antoine Orsini.

Le reste, je vous laisse le découvrir à travers ce petit roman. L’autrice m’a surprise avec quelques rebondissements auxquels je ne me suis pas attendue. Ils sont aussi limpides qu’Honoré, pourtant, et apportent un éclairage à tout un pan de science, renforçant par-là l’humanité du roman et de ses personnages.

Quelques mots sur l’autrice Viviane Montagnon

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Glaise

Franck BOUYSSE

Glaise

La Manufacture des Livres – 2017

 

Voici le deuxième roman de Franck Bouysse que je lis, après Plateau (La Manufacture des Livres, 2016). Même éditeur, même atmosphère de la campagne reculée. Epoque différente, en revanche.

Dans Glaise, Franck Bouysse quitte le polar pour écrire un roman noir. Sur fond de Première Guerre mondiale, il met en scène un village dans le Cantal. Que dis-je, un village… Un hameau, deux ou trois fermes tout au plus, pas suffisamment éloignées du centre du village pour que la factrice ne puisse monter à pied et remettre aux habitants les missives annonciatrices de mauvaise nouvelle. Les femmes, les vieillards et les enfants / adolescents restent seuls dans les fermes pour s’occuper de survivre. C’est difficile. Ça l’est encore plus lorsque des parentes débarquent de la ville avec l’intention de s’installer, faute de pouvoir survivre seules. Elles ne sont pas paysannes, elles ne savent donc rien faire. Elles ne sont pas bienvenues, mais comment refuser ? Surtout si la fille est jeune et jolie.

L’ombre de la guerre flotte sur le roman, menaçante. Elle frappe les vivants au hasard, engendre souffrance et deuil chez des hommes et des femmes déjà meurtris par la vie. La dureté du quotidien n’a pas de limite. Toute trace de beauté dans ce monde sinistre fait tâche. L’amour ? L’émerveillement, l’ouverture au monde des adolescents ? Aucune marque d’émerveillement n’a droit de séjour. Franck Bouysse se plait à créer de l’insécurité dans les rares moments qui permettraient aux uns ou aux autres de souffler un peu. C’est un monde impitoyable qu’il décrit.

Je ne peux pourtant pas dire que j’ai été envoutée par ce roman. Le style de Franck Bouysse est aussi sobre et emprunté que dans Plateau. S’il est adapté au désespoir et à la lenteur du temps, il me semble manquer de flamboyance pour décrire la découverte de l’amour que se porte les jeunes héros. J’ai essayé, pendant ma lecture, de me mettre à la place des deux adolescents, de leur soif de beauté et de chair dans le monde brutal auquel ils sont confrontés. Tant que la haine ne s’immisce pas entre eux, n’est-ce pas de rêves et d’émerveillements que leurs yeux doivent être imprégnés ? Ce n’est pas ce que j’ai ressenti à travers ces pages. Il me manquait la chaleur dans leurs étreintes.

Il n’empêche que Franck Bouysse sait décrire des atmosphères rurales. Il est rare de lire sur le monde des taiseux et des solitaires. C’est tout à l’honneur de Monsieur Bouysse de les mettre en valeur.

=> Quelques mots sur l’auteur, Franck Bouysse

Mr Gwyn

mr-gwynAlessandro BARICCO

Traductrice : Lise CAILLAT

Mr Gwyn

Editions Gallimard – 2014

 

Ce n’est pas si simple pour un écrivain célèbre de tout plaquer quand il en a marre. La presse et le public considèrent son annonce comme un formidable coup de publicité. L’agent littéraire prédit qu’il n’arrêtera jamais d’écrire ; il a un stylo greffé au bout des doigts.

Mr Gwyn a pourtant bien l’intention de changer de vie, mais il se rend vite compte qu’en effet, la dépression le guette. Heureusement, une visite à une galerie de peinture lui donne la solution : il va écrire des portraits.

J’ai été déstabilisée par ce roman. L’écriture d’Alessandro Baricco est aride. Sujet, verbe, complément. Rien de trop. L’écriture est pourtant introspective et semble appeler à une analyse en profondeur des états d’âme du héros. Mais l’auteur n’a pas donné cette orientation à son récit ; aussi, je me suis comportée à toutes les pages comme un petit enfant qui pose aux adultes sa sempiternelle question : pourquoi ?

Pour être sincère, je me suis même demandé l’intérêt de ce roman, chaudement recommandé pourtant par une amie aux choix littéraires exigeants. Pas d’introspection, pas de description des portraits, à peine quelques dialogues pour dévoiler les liens que tisse l’ex-écrivain avec ses clients. Quel est donc le sujet ? J’ai voulu terminer le roman car je n’abandonne pas volontiers une lecture en cours. Arrivée aux trente dernières pages, soudain, tout est devenu lumineux. Les personnalités se sont éclairées, les explications sont arrivées d’elles-mêmes, l’auteur a dévoilé ses pensées profondes. Sans modifier d’aucune manière la sécheresse du style et le niveau d’analyse.

Mr Gwyn est un essai philosophique sur la solitude des auteurs dans le monde impitoyable de l’édition guidée par les exigences du marché. Un écrivain a-t-il encore le droit de penser par lui-même ? Est-il libre dans sa création ? Dans le cas contraire, quels sont ses alternatives ?

Je suis ravie d’avoir découvert Alessandro Baricco. Voilà près d’un mois que j’ai terminé le roman et je le rumine encore. C’est dire l’effet qu’il a produit sur moi, alors que j’étais prête à l’abandonner au bord de la route.

=> Quelques mots sur l’auteur Alessandro Baricco

Dedans ce sont les loups

dedans-ce-sont-des-loupsStéphane JOLIBERT

Dedans ce sont les loups

Editions du masque – 2016

 

Sur un continent non défini, une frontière. Au-delà vers le nord, de la neige à perte de vue. La dernière zone habitée est une bourgade du nom de Terminus : un bordel, une station-service, une supérette. Les bûcherons se retrouvent au bordel en fin d’après-midi. Des filles, ils en font ce qu’ils veulent, mais toujours avec respect, sans frapper. Quelqu’un y veille dur.

Le nord est aussi terre de liberté. Tous les malfrats le savent. Dès lors qu’ils sont recherchés, ils prennent le bus, traversent la frontière et viennent au Terminus chercher du travail.

Dedans ce sont des loups est une fresque sociale. Au Terminus, l’homme a tout de la bête. Ses instincts de survie diffèrent peu de ceux du loup, à bien y réfléchir. Stéphane Jolibert a su décrire de manière convaincante l’univers impitoyable de cette terre oubliée. J’ai regretté en revanche le manque de fluidité du texte, les flash-back auraient pu être mieux injectés dans le déroulement du récit. D’autre part, je n’ai que peu ressenti le poids du froid et de la neige malgré son omniprésence dans le paysage et dans les mots du roman. Stéphane Jolibert est loin des épopées de Jack London, dont il s’est peut-être inspiré.

J’ai passé un agréable moment de lecture, mais sans plus.

=> Quelques mots sur l’auteur Stéphane JOLIBERT

Le festin du lézard

le-festin-du-lezard-794430-250-400Florence HERRLEMANN

Le festin du lézard

Antigone 14 Editions – 2016

 

Imaginez une immense maison bourgeoise de trois étages. Toutes les portes sont fermées à clé. Isabelle erre dans les couloirs, se cache, observe. Elle passe ses journées à tenter de maîtriser la peur que lui inspire sa mère, objet de toute sa haine. Elle livre ses questionnements, ses doutes et ses douleurs à son seul ami, Léo.

Qui est Isabelle, cette jeune femme anéantie ? Qui est sa mère, indifférente et cruelle ? Qui est Léo, qui écoute sans jamais répondre, qui apaise sans jamais caresser ?

Le festin du lézard, premier roman de Florence Herrlemann, est un long monologue amer. Un vomissement continu de haine et de souffrance. Le lecteur ne peut qu’être irrité, dérangé même, par le mélange de violence et de statisme qui se dégage de cet ouvrage. L’écriture de Florence Herrlemann y est pour beaucoup. Dans un langage soutenu ponctué de violence, l’auteur distille au compte-gouttes les éléments nécessaires à la compréhension de l’intrigue. Quelques longueurs peut-être, mais le résultat est d’une grande beauté littéraire.

Ressentez-vous la menace, Léo ? Etant donné le bruit épouvantable que font ses pas dans l’escalier, je la sens décidée à venir nous rendre une petite visite. Je sais que je vais avoir peur, d’ailleurs j’ai peur. Je sais que je ne vais rien pouvoir faire. D’ailleurs, je ne suis plus en mesure de bouger.

Je mesure l’horreur qui nous attend.

=> Quelques mots sur l’auteur Florence Herrlemann

Plateau

plateauFranck BOUYSSE

Plateau

La Manufacture des Livres – 2016

 

Bienvenu dans la Creuse. Je n’y suis jamais allée et je ne sais pas si l’image qu’en donne Plateau est fidèle. Une chose est certaine, Franck Bouysse sait dépeindre des ambiances. Fermes isolées, forêt et lande, population vieillissante, légendes familiales, les ingrédients sont réunis pour poser une histoire de taiseux.

Car Plateau, ce n’est rien d’autre que ça. Virgile, Karl, Georges et Judith sont unis dans leur incapacité à évoquer le passé ou à se confier. Le temps est figé et le restera tant qu’aucun élément extérieur ne les obligera à sortir de leur carapace. Mais alors, les bouleversements émotionnels seront tels qu’ils perdront le contrôle, jusqu’à déposer les armes.

Le style adopté par Franck Bouysse pour développer son histoire, à la fois sobre et emprunté, transcrit habilement la raideur du quotidien et les chamboulements intérieurs des personnages. Le vocabulaire m’a rendu parfois la lecture un peu difficile, mais j’ai fini par m’y faire. Il serait intéressant de comparer l’écriture de ce roman à ses autres écrits (Grossir le ciel, 2016 (poche), Oxymort, 2014 (poche), Noire Porcelaine, 2013 (poche)…) : le style est-il voulu spécifiquement pour Plateau, ou est-ce une marque de fabrique de l’auteur ?

Après maintes hésitations, elle se décide à pénétrer dans une boutique. Peu à l’aise au début, elle finit par se détendre. Détaille un portant sur lequel sont suspendus des jeans. Trouve sa taille et entre dans une cabine d’essayage. Passe le vêtement, sort et se regarde dans une glace en fronçant les sourcils. Georges ne sait que faire de lui, à regarder où elle n’est pas, se raccrochant aux autres clientes qui défroissent leur image sous de petites trahisons colorées.

=> Quelques mots sur l’auteur, Franck Bouysse