La solitude du pianiste

Catherine Rolland

La solitude du pianiste

Editions Les Passionnés de bouquins – 2016

 

Yann Kassowicz est pianiste virtuose. Veuf depuis quatre ans, il a retrouvé un nouvel équilibre entre Louise, son agent, Nathan et Sarah, ses enfants adolescents et Matthias, son frère, venu s’installer chez lui avec ses propres enfants. Tout semble aller comme sur des roulettes, dix jours avant un concert majeur qu’il doit donner à l’Auditorium de Lyon. Sauf qu’un mal de tête épouvantable vrille sa tête depuis quelque temps. Loin de la simple migraine, ses douleurs ont un lien avec le décès de sa femme quelques années plus tôt.

Catherine Rolland signe là un thriller dont la construction est particulièrement intéressante. Le secret que Yann pensait détenir seul est en fait partiellement connu de plusieurs individus qui gravitent autour de lui. Le lecteur assiste à une enquête menée, non par une personne seule, un duo de choc ou des policiers comme dans un thriller classique, mais par plusieurs témoins de faits individuels, tous liés à la disparition de l’épouse du pianiste : une vieille professeure de musique, le frère du virtuose et ses enfants. Une enquête intergénérationnelle, en quelque sorte, qui n’est pas sans évoquer les besoins de construction de l’enfant au contact d’adultes de différentes classes d’âge.

Dans Ceux d’en haut, premier roman de l’auteure que j’ai lu, le lecteur est plongé avec des détails d’une précision redoutable dans le milieu hippique. Dans La solitude du pianiste, c’est dans les partitions de piano que Catherine Rolland nous immerge. L’analyse technique des œuvres du répertoire classique a beaucoup touché l’ancienne pianiste qui dort en moi. J’ai intensément ressenti dans le texte les enjeux de la planification et des répétitions d’un concert, au point de m’imaginer un peu sur les devants de la scène aux côtés du héros.

La solitude du pianiste est le troisième roman de l’auteure (elle en a publié un quatrième depuis : Sans lui). Les portraits sont subtils et le développement psychologique des personnages maîtrisé. S’il reste de petites maladresses dans l’écriture, elles sont balayées par l’intérêt de l’histoire.

Si vous souhaitez connaître l’univers du pianiste professionnel, si vous aimez les bons thrillers, si, tout simplement, vous êtes à la recherche d’un roman pour égayer votre soirée, lancez-vous aux côtés de Yann et de ses amis dans l’enquête captivante dont je ne dévoile pas davantage. Vous passerez un moment de lecture très agréable.

=> Quelques mots sur l’auteur Catherine Rolland

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Le couloir de la mort

le-couloir-de-la-mortJohn Grisham

Traducteur : Michel Courtois-Fourcy

Le couloir de la mort

Robert Laffont – 1995

En août 2016, le journal Le Parisien mentionnait que trente états américains pratiquent encore la peine de mort. L’élection de Donald Trump ne sera pas signe de prise de conscience face à la barbarie qu’est la peine capitale. Tout, pour le moment, laisse penser le contraire. Dans ce contexte, relire Le couloir de la mort m’a semblé tout à fait approprié.

Sam Cayhall, activiste du KKK, a participé en 1967 à un attentat qui a coûté la vie à deux jumeaux de cinq ans, fils d’un avocat défenseur des droits civiques. Il est arrêté sur les lieux de l’attentat, tandis que son complice a disparu dans la nature. Après dix années de tranquillité et trois procès, il finit par être condamné à mort. Encore dix ans plus tard, soit vingt ans après l’attentat, un jeune avocat, Adam Hall, se présente au parloir de la prison et se propose pour le défendre. Adam Hall est le petit-fils de Sam Cayhall. Il lui reste un mois exactement pour sauver son grand-père de la chambre à gaz.
Ce roman est un des plus profonds de John Grisham, avec Non coupable, peut-être
(Robert Laffont 1994, réédité en 2014 sous le titre Le droit de tuer). Il s’agit d’une fiction mais elle pourrait se lire comme un documentaire, tant les détails sur la vie dans le Quartier de Haute Sécurité de la prison de Parchman (Mississipi) sont précis. Grisham déroule les différents aspects juridiques et médiatiques associés à la peine de mort (équipe, procédures, recours, compte à rebours, harcèlement des journalistes…) avec son aisance habituelle de conteur. Le lecteur a aussi le droit à une visite guidée détaillée des cellules des prisonniers ; celle de Sam Cayhall, bien sûr mais aussi celle de ses codétenus, lâchés par leurs familles et leurs avocats dans la plupart des cas.

Le couloir de la mort n’a rien d’un camp de vacances. L’isolement, le dénuement, la haine et l’oubli, pour ces prisonniers dans la force de l’âge, sont à eux seuls des punitions sévères qui conviendraient à une condamnation à perpétuité. L’auteur ne fait pas de Sam Cayhall un personnage sympathique, loin s’en faut. Le salaud a peut-être soixante-dix ans ce qui facilite une prise de position contre la peine de mort ; mais l’auteur n’hésite pas à revenir régulièrement sur son passé macabre ; son objectif est de susciter la réflexion, non parce que le condamné fait pitié mais parce qu’un débat éthique sur le droit de tuer en toute légalité, quel que soit le crime commis, s’impose.

Le mélodrame familial contribue à transformer le documentaire en roman. Les personnages sont bien construits, à l’image de la plupart des héros de John Grisham. La tante d’Adam, sœur de Sam, est en particulier une femme très attachante. Seuls les hommes politiques sont trop caricaturés à mon goût (le gouverneur, David McAllister, a tout d’un caïman aux dents longues) ; leur caractère sert l’histoire, indispensables défendeurs de l’antithèse dans un débat idéologique.

Le couloir de la mort est un excellent thriller. Une bonne idée de lecture pour des jeunes (pas trop, tout de même) qui s’interrogent sur quelques fondamentaux de la démocratie ou sur ce sujet de société essentiel qu’est le meurtre légal.

=> Quelques mots sur l’auteur John Grisham

 

Millenium 4 – Ce qui ne me tue pas

Millenium 4David LAGERCRANTZ

Millenium 4 – Ce qui ne me tue pas

Actes Sud / actes noirs, 2015

 

Ancien journaliste, biographe, romancier à succès, David Lagercrantz a écrit en 2015 un roman historique sur Alan Turing (Fall of Man in Wilmslow), le génie mathématique précurseur de l’informatique. Qui d’autre que lui aurait pu s’attaquer au monument Millenium et poursuivre l’œuvre de Stieg Larsson ?

Dans Millenium 4, on retrouve les héros Mickael Blomkvist et Lisbeth Salander dans une nouvelle enquête. La revue Millenium est au plus mal. Lâchée par un de ses financeurs, elle est reprise par le groupe Serner Media qui compte évincer Blonkvist jugé « has been ». Plus de scoop. Inconnu des jeunes. Il ne fait plus l’affaire. Dépassé, il ne l’est pourtant pas tant que ça : le journaliste est contacté par un informaticien qui souhaite lui soumettre une affaire. Frans Balder, ancien professeur d’université, est une référence en matière d’intelligence artificielle. Il s’est fait recruter par Solifon aux Etats-Unis pour poursuivre son travail de recherche. Après quelque temps, brusquement devenu paranoïaque, il s’est mis à protéger ses données à l’excès, n’a plus adressé la parole à personne, a démissionné de son poste et est rentré en Suède.

Mickael Blonkvist n’écoute que distraitement les propos du jeune informaticien jusqu’à ce qu’il évoque une hacqueuse embauchée par Balder pour savoir si son ordinateur a été piraté. Le journaliste reconnait Lisbeth Salander dans la description qu’en fait l’informaticien et se prend soudain d’intérêt pour l’histoire. Si Lisbeth est dans le coup, c’est qu’un scandale couve quelque part, avec un scoop à la clé.

David Lagercrantz a étonnamment bien réussi à respecter l’esprit des Millenium et la structuration du récit. Comme dans les précédents tomes, les scènes essentielles sont décrites par différents angles de vue, permettant au lecteur de les savourer plusieurs fois. Les héros principaux manquent en revanche un peu de saveur. Ils sont plus figés, moins développés que par Larsson. Presque secondaires à l’histoire. Par contre, les thèmes fondamentaux de l’intrigue comme le piratage informatique et la protection des données sont abordés avec beaucoup d’adresse. Lagercrantz ne s’est pas contenté d’un thriller politique. Son sujet, hautement d’actualité, est creusé, écrit pour faire réfléchir. Stieg Larsson aurait probablement aimé évoquer ces sujets.

Quelques lourdeurs existent néanmoins dans l’intrigue, sans doute liées au besoin que l’auteur a ressenti de résumer certains points des romans de Larsson qu’il a jugés indispensables à la compréhension de son roman. Mais est-il possible de lire Millenium 4 sans avoir lu les romans précédents ? Ce n’est pas sûr.

Par ailleurs, le hasard qui relie le journaliste et la hacqueuse dans la même intrigue est tiré par les cheveux. Mais on pardonne. Il fallait trouver une suite qui respecte les principes de Larsson, c’est ce à quoi Lagercrantz s’est attaché.

 

En résumé, j’ai passé un très bon moment de lecture avec Millenium 4, malgré mes fortes appréhensions de départ. L’univers de Larsson ne s’est pas écroulé. Si Mickael et Lisbeth manquent de finesse, ils restent attachants. Et l’intrigue mêlant mathématiques, services secrets et secrets industriels est passionnante.

=> Quelques mots sur l’auteur David Lagercrantz

La défense

la défenseSteve Cavanagh

La défense

Bragelonne – 2015

 

Même l’éditeur affirme sur la quatrième de couverture l’étonnante ressemblance entre ce premier roman de Steve Cavanagh et un bon thriller de John Grisham. S’il s’autorise à reproduire l’argumentation du journaliste du Irish Independant, c’est que ça doit être vrai. Et en effet, pour moi qui ai lu une grande majorité des livres de Grisham, La défense m’a projetée dans un univers semblable.

Pauvre Cavanagh, démarrer sa carrière d’écrivain par une telle comparaison. Heureux Cavanagh, car si cette comparaison est osée, dangereuse même, il tient le challenge haut la main !

La défense, c’est l’histoire d’un avocat en perdition, alcoolique et chassé de chez lui par son épouse. Un beau jour ou plutôt un jour funeste, il se retrouve coincé dans son café préféré par la mafia russe. Volchek, un parrain de l’organisation, voit son procès démarrer le jour-même. Un mafieux repenti doit témoigner, ce qui entraînera inexorablement sa perte. Le marché est simple. Eddie Flynn doit réussir la défense de Volchek ou mourir, ainsi que sa fille de dix ans qui vient d’être enlevée elle aussi. L’avocat a quarante-huit heures pour sauver leurs vies.

Ainsi débute ce thriller au rythme et aux coups de théâtre incroyables. Volchek est entouré par une équipe insensible à toute compassion. Le FBI, omniprésent, protège le procès du siècle. La procureure générale, brillante, s’est préparée pour gagner. Ce procès est perdu d’avance et tout le monde le sait. Mais ce que les différents acteurs ne savent pas, c’est qu’Eddie est un ancien escroc : il a plus d’un tour dans son sac.

L’histoire est racontée à la première personne par Eddie lui-même. Et le lecteur se sent bien dans la peau du narrateur. Le temps de lire les 377 pages du roman, il revêt l’habit d’un avocat brillant, rendu exceptionnel par les circonstances qui l’obligent à donner le meilleur de lui-même. Cavanagh l’embarque dans l’histoire à la vitesse de la lumière, comme s’il lui achetait une place pour un tour de montagne russe.

Bien sûr, sans les contacts que possède Eddie dans le tribunal ou à l’extérieur, l’histoire perdrait de sa saveur. Mais on pardonne à Cavanagh ces facilités de scénario, tant l’intrigue est bien ficelée, le rythme soutenu et les rebondissements nombreux et crédibles.

La défense est son premier roman. J’espère qu’il ne restera pas en si bon chemin.

=> Quelques mots sur l’auteur Steve CAVANAGH

Noir septembre

Noir septembreInger WOLF

Noir septembre

Mirobole éditions, 2015

 

Le titre de Noir septembre est tout à fait évocateur. Dans son polar couronné par le Grand prix du thriller danois, Inger Wolf raconte le déroulement d’évènements survenus en un certain mois de septembre, tels que les ont vécus l’équipe de limiers de la police d’Ǻrhus et les différents protagonistes de l’affaire. Une jeune femme est retrouvée nue, égorgée dans un parc, avec un bouquet de fleurs sur la poitrine et des traces de sperme sur le ventre. Un viol ayant dégénéré est rapidement envisagé par les enquêteurs, malgré le côté macabre de la mise en scène. Puis, assez vite, un lien est effectué par les policiers entre le meurtre d’Anna Kiehl et la disparition quelques semaines plus tôt de Christoffer Holm, un brillant chercheur en psychiatrie.

Nous retrouvons dans ce roman la progression classique attendue dans un polar : immersion du lecteur dans l’enquête policière avec liste de suspects et interrogatoires, travail d’équipe et ses difficultés du « travailler ensemble », indices communiqués au compte-goutte… En revanche, l’auteur n’abuse pas d’autres ficelles trop souvent utilisées dans ce type de littérature : peu de découvertes surprises en fin de chapitre, pas de détails insignifiants pour le lecteur pour expliquer un fait ou mettre en évidence un mensonge. Le déroulement de l’histoire est linéaire, empli de rebondissements, mais jamais le lecteur ne se sent mené en bateau ou pris en otage par une enquête qui se déroulerait en dehors de sa progression dans l’intrigue. Au contraire. Les témoignages sont éclairants, les dialogues suffisamment ouverts pour que le lecteur soit en capacité de tirer les conclusions en même temps que les policiers. Peut-être est-ce cette simplicité qui permet à Inger Wolf d’aborder quelques questions plus existentielles dans son roman : l’inévitable solitude des enquêteurs dont le métier n’autorise pas de vie privée à l’extérieur de leur milieu, quelques allusions à la guerre de Yougoslavie des années 1990. Et comme flottant au-dessus de ces différents sujets, un questionnement plus grave sur l’équilibre psychique de chaque individu et sur la quête du bonheur. La chimie, qu’elle soit légale ou illégale, un investissement professionnel excessif ou les liens de l’amour sont-ils les seuls moyens d’y arriver ? Quelle est la place de la folie dans cette quête ? Et des sectes ? Quelles limites faut-il poser à la recherche médicale ?

Le style utilisé par Inger Wolf est sobre, sans fioritures. Les lieux sont décrits avec simplicité Les policiers, loin du concept des super-héros, connaissent leurs propres fragilités, ce qui les rend sympathiques au lecteur.

Noir septembre est le septième roman d’Inger Wolf mettant en scène le commissaire de police Daniel Trokic et son troisième roman paru chez Mirobole Éditions. A quand le quatrième ?

=> Quelques mots sur l’auteur Inger WOLF