Le complexe d’Eden Bellwether

Benjamin Wood

Traduction de l’anglais (GB) : Renaud Morin

Le complexe d’Eden Bellwether

Zulma – 2014

 

Quand un jeune homme entre dans une chapelle, attiré par le son de l’orgue, et croise le regard d’une jeune fille tout à fait charmante, arrive ce qui doit arriver. Quand, dès les premiers jours de leur rencontre, le frère de cette jeune fille, l’organiste, lui donne explicitement l’autorisation de fréquenter sa sœur, l’intrigue prend de la profondeur, un malaise commence à se répandre. Qui est donc cet Eden, prodige musical, pour s’octroyer des droits sur les amours de sa sœur ?

Que de thèmes abordés dans ce roman ! Différences de classe, liens familiaux, thérapies alternatives, musique, folie, perversité…Je me suis rapidement laissée happer par l’histoire, malgré ma peur de lire un roman psychologique destiné à effrayer le lecteur, ce qui n’est pas mon style de lecture. Loin de là, Le complexe d’Eden Bellwether dose les différents sujets de telle manière que les scènes qui suggèrent la folie d’Eden sont amenées gravement, scientifiquement même, sans détails sordides. Benjamin Wood, pour décrire son personnage principal, s’est concentré sur ses passions et ses certitudes plus que sur ses accès de folie ; sur l’admiration et les doutes de son entourage plus que sur les pressions qu’il exerce sur eux.

En cela, et c’est un des intérêts de l’ouvrage, l’auteur pose la question des limites – jusqu’où peut-on aller dans une expérimentation – et de la prise de conscience de l’entourage – est-il raisonnable de laisser poursuivre une personne dans un sens qui semble éthiquement contestable. S’attachant aux croyances profondes du héros et non aux arcanes de sa stratégie, Le complexe d’Eden Bellwether traite donc, évidemment, de manipulation.

Mais il est impossible de résumer ce roman à ça. Le pan musical de l’histoire est essentiel. Il m’a fait penser à certains passages de Dr Faustus de Thomas Mann. L’analyse scientifique de la musique n’est pas aussi profonde que dans l’œuvre majeure de l’écrivain allemand, mais la passion dévorante d’Eden pour la musique baroque, l’utilisation qu’il en fait, ne sont pas sans évoquer le pacte que signe Adrian Leverkühn avec le diable. Chez Thomas Mann, le héros se damne pour la création musicale. Eden, lui, ne se damne-t-il pas pour prouver son génie en matière d’hypnose musicale ?

Thérapies alternatives ou médecine traditionnelle ? Ce sujet, pourtant essentiel, est traité avec moins de profondeur que les précédents. Il est en effet noyé dans les conflits familiaux ou la maladie dont souffrent les héros qui pourraient influer sur le cours de l’histoire, et qui pourtant ne le font pas, englués qu’ils sont dans leurs propres priorités ou dans la subjectivité de leur perception de la situation. Mais finalement, ce sujet n’est-il pas qu’un simple prétexte d’expérimentation pour Eden ? A ce titre, l’entourage du héros, tout comme le lecteur, sont dépassés par ce débat pour ne se concentrer que sur ce qu’ils en perçoivent.

Une chose m’a cependant cruellement manqué pendant toute ma lecture. En dehors d’Eden, sa sœur et le narrateur, les personnages sont peu décrits, leur personnalité quasiment absente. Ainsi, si certains amis d’Eden portent la voix du doute, d’autres, comme sa compagne, sont d’une fadeur surprenante. Aucun signe d’emprise d’Eden sur Jane. Aucun avis de Jane sur le comportement, ou l’évolution du comportement du héros. Je mets cette faiblesse sur le compte du premier roman et espère un développement psychologique des personnages plus équilibré dans l’avenir.

Prix du roman Fnac 2014.

=> Quelques mots sur l’auteur Benjamin Wood

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La vérité sur Lorin Jones

La vérité sur Lorin JonesAlison Lurie

La vérité sur Lorin Jones

Rivages, 1989

 

Polly Alter, 39 ans, reçoit une bourse du musée où elle travaille pour écrire une biographie sur une peintre décédée vingt ans plus tôt, Lorin Jones. Fragilisée par son divorce récent, elle ne peut s’empêcher une vive sympathie pour cette femme dont elle a l’impression d’avoir emboîté le pas : née dans la même ville, peintre elle-même, passionnée par le génie de son modèle, il y va jusqu’à leur surnom qui ne différait dans leur enfance que par une seule lettre : Polly / Lolly.

Afin de se libérer du temps pour enquêter et écrire, Polly envoie son fils adolescent quatre mois chez son père. Elle invite en parallèle sa meilleure amie Jeanne à venir s’installer chez elle. Jeanne, lesbienne et féministe, a une vision bien arrêtée sur la destinée tragique de Lorin Jones : si la peintre n’a pas eu de son vivant le succès qu’elle méritait, c’est que les hommes influant de son milieu étaient bien décidés à lui mettre des bâtons dans les roues. A commencer par Garett Jones, critique d’art et premier mari de Lorin. Ou Jacky Herbert, le galeriste. Mais est-ce si sûr ? Polly Alter est décidée à interviewer toutes les personnes encore vivantes qui ont connu Lorin, afin de découvrir et d’écrire la vérité sur Lorin Jones.

Sur fond de féminisme, Alison Lurie critique le milieu de l’art new-yorkais des deux époques où se joue l’intrigue : les années 1960 et les années 1980. Le lecteur est propulsé du monde féminin de Polly dans le monde masculin de Lorin avec le même bonheur. Plus l’enquête de Polly avance, plus ses idées s’embrouillent. Chaque protagoniste a sa propre vérité sur Lorin Jones. Famille, critiques, collectionneurs, l’intérêt de chacun diffère quant au contenu de la biographie à écrire. Entre manipulation et passion, quelle sera la version la plus crédible aux yeux de Polly ?

Ce thriller psychologique est un fascinant témoignage du monde artistique de New-York de la deuxième moitié du XX° siècle. L’auteur dénonce avec beaucoup de subtilité le machisme de ce milieu, dans lequel sans les hommes, les femmes ne peuvent pas percer. En parallèle, elle dresse un tableau particulièrement cynique des milieux féministes. Le lecteur ne peut pas s’empêcher de grincer des dents et de s’interroger : finalement, est-ce si certain que l’homme est le plus grand des manipulateurs ? Le sexe des individus y est-il pour quelque chose ?

La vérité sur Lorin Jones fait partie des romans dont la justesse psychologique traverseront toujours les époques, sans jamais vieillir. Il a reçu le Prix Femina 1989.

=> Quelques mots sur l’auteur Alison Lurie

Oliver ou la fabrique d’un manipulateur

OliverLiz Nugent

Oliver ou la fabrique d’un manipulateur

Editions Denoël, 2015

 

C’est sur un homme froid, cynique et violent que s’ouvre ce polar irlandais. Oliver frappe sa femme Alice et l’abandonne à moitié morte dans la maison. Quelques mots sur leur vie conjugale et pour présenter le décor. Il s’agit d’un couple d’artistes étroitement liés dans leur création. Elle est douce et patiente, il est calculateur et insensible. Elle a un frère attardé mental qu’Oliver fait placer en institution malgré son épouse. Il la trompe régulièrement et ce sans aucun état d’âme. Ca commence bien.

Il s’agit d’un roman chorale. Ce sont les autres qui racontent Oliver, en alternance avec sa propre narration. Barney, l’homme à qui il a volé Alice. Mickaël, le frère de Laura, une liaison de jeunesse. Madame Véronique, une viticultrice du bordelais qui accueille chaque été des saisonniers étrangers pour les vendanges. D’autres personnages se succèdent, tous pour accabler Oliver.

L’intrigue tourne autour de deux périodes cruciales : l’abandon d’Olivier durant son enfance et le basculement de nombreuses vies durant l’été 1973. Que s’est-il donc passé ?

Les clichés sociaux se mêlent aux explications faciles, dans un semblant de thriller psychologique où l’intrigue elle-même n’est pas crédible. Oliver est présenté comme un homme meurtri dès l’enfance. Son père n’en a jamais voulu et subvient à peine à ses besoins vitaux. Une enfance malheureuse pour expliquer le monstre ? Voilà une thèse bien osée, novatrice et constructive ! Je ne suis pas experte, mais il me semble qu’au XXI° siècle, ce type d’explication est dépassé. Tout individu majeur est responsable de ses actes. D’ailleurs, Oliver abandonné par son père est entouré d’autres adultes bienveillants, comme le père Daniel, à l’internat, régulièrement évoqué dans le roman. Il n’a aucune excuse.

L’écriture de Liz Nugent est remplie de clichés. Sur la largesse d’esprit du résistant des premières heures pendant la Seconde guerre mondiale, la souffrance des homosexuels Irlandais des années 1970 (ne parlons pas des prêtres), la culpabilité du demi-frère qui ne sait pas comment entreprendre Oliver, quand il découvre leur lien de famille… Quant au dernier chapitre, il est cousu de fils blancs. L’intrigue est pitoyable jusqu’à la dernière ligne. Même la qualité de l’écriture pêche, mais peut-être s’agit-il uniquement d’une traduction qui laisserait à désirer.

Vous l’avez sans doute compris, je n’ai pas été convaincue par ce roman et ne le conseillerai pas.

=> Quelques mots sur l’auteur Liz NUGENT

La vérité et autres mensonges

la vérité et autres mensongesSascha ARANGO

La vérité et autres mensonges

Albin Michel, 2015

 

Dès le premier chapitre, le ton est donné. Un couple attend un enfant mais aucun des deux n’en veut. Il est marié, elle est sa maîtresse de longue date, son éditrice par dessus le marché. Il est écrivain de best-sellers mais n’a pas écrit une seule ligne de ses romans, ce que son éditrice ne sait pas. L’arrivée prochaine de l’enfant, comme dans de nombreuses histoires, chamboule l’ordre établi. Il décide de tout raconter à sa femme, d’en finir une fois pour toutes avec les mensonges et de dire la vérité. Un mensonge de plus ?

Dans ce roman empli d’humour, le meurtrier est connu dès les premières lignes. Sascha Arango n’a pas écrit un polar classique. Grâce à son regard omniscient, le lecteur est tour à tour dans la tête de chacun des personnages. L’empathie est de mise. On aime l’imposteur et presque l’imposture. La question que se pose le lecteur au fur et à mesure que se déroule l’histoire et que se dressent les obstacles devant le héros, c’est de savoir s’il arrivera à commettre le crime parfait. « Un meurtrier doit savoir rester vigilant. Son ennemi, c’est le détail. Le mot inconsidéré, la bricole oubliée, l’erreur insignifiante qui fiche tout par terre. Il doit entretenir le souvenir de son geste, le renouveler en lui chaque jour et en même temps le taire. » Sascha Arango dévoile le mode d’emploi. On a envie de savoir si Henry Hayden saura en profiter. N’est-ce pas un comble ?

La vérité et autres mensonges se lit facilement et avec jouissance. Le cynisme de Sascha Arango, l’humour avec lequel il dresse le portrait de chaque personnage (et quels personnages ! S’ils n’existaient pas, il faudrait les inventer !), les rebondissements permanents, donnent au ton une véritable fraîcheur. Un premier roman couronné du Prix du polar européen 2015.

Pourtant, en temps qu’amatrice de romans plus profonds, je suis restée sur ma faim. J’ai regretté quelques invraisemblances dans l’intrigue. Par exemple, Gisbert Fasch, l’ancien camarade de chambrée d’Henry, décrit un adolescent violent, dénué d’amour et de scrupules que j’ai eu du mal à retrouver dans Henry adulte. Quelques mises en scènes semblent saugrenues, certaines chutes heureuses viennent à point nommé. Mais malgré cela, la lecture de ce polar a été un grand moment de plaisir.

=> Quelques mots sur l’auteur Sascha ARANGO