Le Bal

Irène NEMIROVSKY

Le bal

Hachette Livre – 2005

Première édition : Grasset & Fasquelle, 1930

 

Antoinette, quatorze ans, vit les affres de l’adolescence entre ses parents, Juifs nouveaux riches, et sa préceptrice anglaise, miss Betty. Rebelle, souffrant de l’égocentrisme appuyé de sa mère, elle apprend presque au même moment que ses parents donneront prochainement un bal et qu’elle n’aura pas le droit d’y assister. De cette désillusion va naître une soirée plutôt inattendue.

Le Bal est un très court roman, un des premiers de la brillante romancière franco-russe d’origine juive, auteure de Suite française (Denoël, 2004). Il annonce son immense talent à venir. La justesse du ton, la finesse de l’analyse psychologique, le sarcasme dont Irène Némirovsky se sert sont exquis, pour ne pas dire plus. En deux mots, elle dresse le portrait familial. Couple de petits Juifs arrivistes, vulgarité rapace de la mère, froideur et sens des affaires du père, solitude de l’adolescente dans cette société de riches vauriens… Le monde sans cœur ni âme qui entoure Antoinette est délicieusement odieux. Le geste d’Antoinette en est sublime de puissance et de majesté. Et le lecteur, envouté, dévore les quatre-vingt neuf pages de l’édition pour collégiens (texte intégral) avec un bonheur indescriptible.

Il a beaucoup été reproché à Irène Némirovsky, de son vivant, d’avoir consacré sa courte vie à dénigrer les Juifs d’Europe. L’essentiel des biographies qui lui sont consacrées interroge sa sympathie envers son peuple, malgré son extermination à Auschwitz en 1942. Connaissant ces questions pour avoir lu plusieurs de ses romans ainsi que La question Némirovsky, la biographie de Susan Rubin Suleiman (Albin Michel, 2017), j’ai lu ce court texte sous l’angle de vue de son éventuel antisémitisme. La famille est Juive, d’accord, mais à part ce constat je n’ai lu dans le récit que le fantastique sarcasme avec lequel la romancière dénonce la bêtise du couple et sa décadence, qui débute au moment où leur fille commence à prendre de la hauteur. Le roman ne dit pas si la jeune fille saura dépasser la cupidité de ses parents ; on ne peut que l’espérer, et le roman a cette force, justement : permettre au lecteur d’imaginer la suite du fameux soir de bal, où tout va basculer.

=> Quelques mots sur l’auteur Irène Némirovsky

Publié dans le cadre du challenge « cette année, je (re)lis des classiques – 2018

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Someone

SomeoneAlice McDermott

Someone

Quai Voltaire / La table ronde, 2015

 

Marie est née dans les années 1930, dans le quartier irlandais de Brooklyn. A cette époque, ces rues forment quasiment un village.

Au fil des pages de Someone, elle raconte l’histoire de son quartier. Le lecteur la découvre à travers ses yeux d’enfant, puis d’adolescente. Adulte, Marie quitte Brooklyn mais y revient régulièrement pour voir sa mère qui n’en est jamais partie, même lorsqu’il s’est transformé et progressivement dégradé. Le lecteur suit ainsi la vie de la communauté, l’intimité des familles, les tragédies du quotidien, les rapports à la religion de ces gens simples et sans histoire.

Dans un style d’une grande beauté, Alice McDermott évoque aussi bien l’enfance que les premiers émois amoureux ou encore la mort. La mort, surtout, omniprésente sous de nombreuses formes. Partie intégrante de la vie. Le lecteur ne peut que se laisser bercer par les anecdotes de la vie quotidienne qui forment le cœur du récit. Certaines sont particulièrement poignantes, comme l’évocation des G.I. de retour d’Europe en 1945. D’autres merveilleuses de sensibilité et de justesse, comme la première leçon de cuisine de Marie (ah, ces mères qui veulent éduquer coûte que coûte !)

Ne cherchez pas l’action dans Someone, appréciez plutôt la puissance des mots pour décrire un quotidien aujourd’hui désuet. Je me suis laissée entraîner par ce roman sur les Irlandais d’Amérique, qui traite aussi délicieusement des ombres planant sur la religion catholique que de la goujaterie masculine ou encore des veillées funéraires, véritables lieux d’échanges entre femmes de tous âges.

« J’écoutais donc, l’œil rivé aux jolis cristaux de sucre imprégnés de thé au fond de ma tasse en porcelaine. […] Plissant un œil, je regardai cette appétissante substance glisser doucement dans la lumière ivoire, avancer paresseusement vers ma langue puis, comme elle n’allait pas assez vite, vers le bout de mon doigt. »

« Lorsqu’il se pencha pour m’embrasser, ce fut à la fois mon premier vrai baiser et la première fois que je sentais le goût de la bière. Il tint la bouteille contre mon épaule, mouillant mon chemisier, si bien que j’en perçus la forte odeur en plus du léger goût dans ma bouche. »

=> Quelques mots sur l’auteur Alice McDERMOTT

Les intéressants

Les intéressantsMeg WOLITZER

Les intéressants

Éditions rue fromentin, 2015

 

Voilà un roman qui me laisse bien perplexe. Je suis partagée entre deux sentiments : celui de ne pas y avoir trouvé d’intérêt et celui d’être convaincue que je ne l’oublierai pas facilement. Quel paradoxe !

Les intéressants raconte l’adolescence et la maturité de six américains de New-York entre 1977 et aujourd’hui. Ash, Cathy, Jules, Ethan, Goodman et Jonah se rencontrent dans un camp de vacances découvreur de talents, Spirits-in-the-woods. Ils y forment un club, le club des intéressants justement. Seuls les aléas de la vie arriveront à les séparer au cours des décennies qui suivront.

Meg Wolitzer décrit les succès, les échecs et les combats intérieurs de ses héros, à travers le regard de trois d’entre eux, Ash, Ethan et Jules. Ash et Ethan symbolisent la réussite professionnelle, sociale et financière. Jules, observatrice des succès de ses amis, un brin jalouse, a une vie beaucoup plus standard. Seule la générosité de ses amis lui permettra de rester habiter dans New York, contrairement à de milliers de banlieusards.

Tout au long des 564 pages que dure ce récit, le lecteur va être témoin des joies, drames et échecs des différents personnages. De nombreux sujets de société sont abordés : l’adolescence, la sexualité, les liens de famille, la maladie, l’abus d’autrui. Des sentiments comme le doute, la douleur, la générosité, la jalousie. Ce livre est un hymne à l’introspection, à l’amitié et à l’amour.

L’histoire ne manque pas d’intérêt. Je me suis surprise à comparer le livre à un film de Woody Allen des années 1975-1980. Et c’est peut-être par là qu’il pêche : il est tellement psychanalytique, tellement new-yorkais qu’il pourrait passer pour synopsis d’un film du grand cinéaste américain. Seulement un film se visionne en deux heures, tandis qu’un roman d’une telle longueur se lit en plusieurs jours.

Pour résumer, Les intéressants est un bon livre psychanalytique, mais sa longueur lui fait perdre de sa force.

=> Quelques mots sur l’auteur Meg WOLITZER

Crans-Montana

Crans MontanaMonica SABOLO

Crans-Montana

JC Lattès, 2015

 

Que ce soit Patrick, Daniel, Serge, Roberto, Max, Édouard ou Charles, ils étaient tous adolescents dans les années 1960. Avec leurs parents issus d’un monde où l’opulence est le maître mot, ils passent la totalité de leurs vacances dans une station de ski huppée des Alpes suisses. Monica Sabolo évoque dans Crans-Montana l’attirance de ces jeunes gens pour les trois C, groupe siamois formé par Chris, Charlie et Claudia, trois jeunes filles de leur milieu et pourtant inapprochables pour ces adolescents romantiques.

Le livre est structuré autour de plusieurs points de vue. Il y a celui des garçons, pris en masse. Celui de Franco, le fils de l’épicier de Montana. Et celui des filles. A chaque changement de tableau, Monica Sabolo avance dans le temps. Dans la tragédie, aussi.

Car il ne faut pas croire que jeunesse dorée rime avec bonheur. En coulisse des amours adolescentes plus ou moins réussies, l’auteur laisse planer au-dessus des familles l’ombre de la shoah et décrit les mariages ratés, l’argent qui traverse la frontière incognito ou la drogue. A Crans-Montana, les BMW côtoient les Maserati, les Alfa Romeo, les Austin et les Mercedes. Le champagne coule à flot. Et les orgies auxquelles assistent les garçons, cachés derrière un buisson, ont un goût de détresse.

L’intrigue met beaucoup de pages à se mettre en place. On a du mal à comprendre comment des jeunes qui se retrouvent chaque week-end dans ce village de montagne, ne se connaissent que de vue. Ils sont pourtant du même milieu social. Leurs parents se côtoient. Ils circulent librement, fréquentent les mêmes lieux de détente. Comment expliquer un tel décalage ?

Grâce aux tableaux successifs, Monica Sabolo décrit les héros de Crans-Montana sous des angles de vue différents. C’est intéressant, mais cette construction manque un peu de naturel. Aux yeux des garçons, les filles sont inaccessibles, débridées. Or lorsqu’elles témoignent à leur tour, elles avouent de la timidité, voire de la rigidité dans leur comportement. Est-ce crédible ?

Seule Claudia reste énigmatique jusqu’à la dernière page. Peut-être bien parce que le seul point de vue qu’on attend vraiment et qui est absent de Crans-Montana, c’est le sien.

=> Quelques mots sur l’auteur Monica SABOLO