Alex hérite de l’appartement de sa grand-mère Violette dans le village de Marsilly, qui sent bon la veille pierre et les rues pavées. Il suffit de lire les premières phrases du livre pour planter l’ambiance.
« La cour intérieure s’ouvre sur le ciel, les quatre appartements sont répartis en L sur deux niveaux autour d’un escalier et d’une coursive en bois sculpté. Le mur d’enceinte en lourdes pierres de taille moussues, habillé de lierre, quadrille l’espace. »
Les habitants de cette ancienne maison de village vivent dans une communauté étroite, centrée sur leurs souvenirs d’enfance. Leur ancienne institutrice, surtout, leur a laissé un souvenir vivace. Une institutrice comme seule la nostalgie sait en inventer. Elle était encore jeune, Violette, à l’époque des socquettes et des culottes courtes de Réjane et Etienne. Si jeune qu’Isabelle, la maman d’Alex, n’était pas encore née.
Drapé dans un silence qui laisse deviner un passé douloureux, Alex s’installe d’abord en marge des senteurs de tourtes et des papiers jaunis. Puis, petit à petit, il s’apprivoise. Et finit par apprivoiser son passé.
Il ne faut rien dire de plus sur l’intrigue de ce court roman. Ecrit à huit mains à l’occasion d’un atelier d’écriture, il s’en dégage une grande beauté, tant dans le style – étonnamment homogène pour l’exercice – que dans l’humanité des personnages. Pourtant, le lecteur va traverser les années, et pas que les glorieuses, pour dénouer le nœud qui enserre le cœur du jeune Alex. Les secrets de famille, décidément, resteront toujours un fléau, tant qu’ils ne seront pas dévoilés au grand jour.
Un roman plein de charme, que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir.
Banlieue parisienne, entre 1956 et 1960. Patrick Modiano est interne dans un collège huppé de la banlieue parisienne. L’allée, le Château, les grandes pelouses, les réfectoires, la Cour de la confédération. Rien que les appellations éveillent la nostalgie. Pour figer l’ambiance, il fallait la magie de Modiano. Succès assuré.
Oui, mais pour moi, ce livre est loin d’une simple distraction littéraire. Le collège de Valvert, c’est le bâtiment fermé au public que j’ai toujours connu. Il s’agit du domaine du Montcel, au centre de Jouy en Josas dans les Yvelines. Modiano ne nomme pas le village. Il a rebaptisé certains noms, mais il est impossible à une native de là de ne pas reconnaître la rue du Docteur Kurzenne dans la rue du Docteur-Dordaine. De ne pas reconnaître la salle des fêtes de mon mariage, dans le cinéma aux portes marron à hublots. De même, l’avenue bordée de tilleuls qui monte vers la rue du Docteur-Dordaine est celle où j’ai réussi à m’arrêter sans trop savoir comment, après avoir dévalé quatre marches avec la voiture de mon frère, le lendemain de l’obtention de mon permis de conduire.
Jouy en Josas, la ville d’Oberkampf, inventeur d’une technique d’impression sur toile au début du XIXe siècle, dite « toile de Jouy ». Une petite ville tranquille où coule la Bièvre, que Modiano cite souvent dans son récit. A l’époque de l’écrivain, elle ruisselait en cascade. Aujourd’hui, je ne saurais dire. Elle est en partie souterraine et ne réjouit plus le regard que dans un jardin public, sur une longueur de quelques centaines de mètres tout au plus.
De si braves garçons plante le décor, du moins son point de départ, au collège de Valvert où Modiano a séjourné. Le livre se lit comme une succession de portraits d’adolescents et leurs alter egos adultes. Portrait de la haute société parisienne, habitants de Neuilly, Bougival, Passy, Trocadéro. Qu’ont-ils donc de plus que ceux du Fond de l’Etang que Gérard Juniot tente de faire chanter, ces jeunes garçons de Valvert ? A lire le roman de Patrick Modiano, rien qu’un porte-monnaie garni. Les adolescents dont il relate l’histoire sont tout autant délaissés et malaimés que leurs équivalents des classes moins favorisées. Les adultes que forgent l’école et l’abandon parental, pour beaucoup d’entre eux, sont oisifs, drogués ou sans repères. Ils étaient de si braves garçons, pourtant. Les liens qu’ils ont créés entre eux sont éternels. Leurs espiègleries innombrables. Leurs souvenirs vivaces. Lorsqu’au hasard des rencontres, ils se retrouvent adultes, la nostalgie reprend le dessus et fait oublier quelque temps le dur quotidien de la jeunesse dorée.
Patrick Modiano n’a pas aimé ses années passées au collège du Montcel, le fait est connu. Il en a même été renvoyé. Dans son récit Un pedigree (Gallimard, 2006), il se livre davantage que dans De si braves garçons : « A l’école du Montcel se trouvaient des enfants mal-aimés, des bâtards, des enfants perdus. Je me souviens d’un Brésilien qui fut pendant longtemps mon voisin de dortoir, sans nouvelles de ses parents depuis deux ans, comme s’ils l’avaient mis à la consigne d’une gare oubliée ».
De nombreuses autres personnalités d’aujourd’hui ont séjourné au Montcel. Parmi elles, Michel Sardou, Patrice Balkany, Jean-Michel Ribes. Une école prestigieuse ? Un refuge ? Un modèle d’éducation rigoriste ? Je vous laisse juger dans quelle mesure un passage par ce lieu a pu influer sur le devenir adulte des jeunes garçons.
Man Tine est tout un symbole. Il représente la Martinique des années 1980, empreinte de traditions et de contradictions que le progrès et la technologie tendent à gommer. Il est un homme parmi les autres, peut-être un peu volage, patriarche en devenir. Il est une femme maîtresse, organisatrice des évènements familiaux, gardienne de l’histoire et de la gastronomie du pays.
Au revoir Man Tine est un recueil de douze nouvelles empreintes de nostalgie, à travers lesquelles l’auteur immortalise ses souvenirs. La Martinique évolue, inexorablement. Pourtant, les expéditions à l’épicerie du village, les virées familiales dans le Nord, les émissions radio rythmant la journée constituaient pour les enfants des années 1980 un socle aussi solide que le chef de famille et son épouse, respectés et choyés par tous leurs descendants, qu’ils résident au pays ou en métropole.
J’ai été séduite par les tranches de vie évoquées entre ces lignes. La narratrice est souvent une enfant d’une dizaine d’années, intelligente, littéraire, fine observatrice du monde qui l’entoure. Elle n’est jamais nommée, les autres personnages non plus, d’ailleurs, ou rarement. Mérine Céco a choisi de peindre le portrait d’un pays à travers des exemples génériques. A l’aide d’anecdotes d’un grand réalisme, elle transmet aux lecteurs d’aujourd’hui et de demain le souvenir d’une époque révolue, d’une langue en perdition.
Merci à Babelio, à l’opération Masse Critique et aux éditions Ecriture pour ce livre !
Il faudra […] prévoir pour le plat de résistance : ce qui se conserve le mieux et qui est en même temps copieux. Les hommes mangent bien. Il faudra les nourrir suffisamment parce que les chauffeurs, c’est eux, même si toutes les femmes ont le permis. La discussion s’engage, animée, entre celles qui pensent qu’une salade de riz suffit largement (ce sont surtout les épouses métropolitaines de la famille, venues en vacances, qui plaident en ce sens) et les autres, qui estiment qu’il faut respecter la tradition et partir avec des cantines chargées de haricots rouges, dombrés et fricassées de poulet.
Lorsque j’ai fermé Échapper quelques heures après l’avoir commencé, sans l’avoir lâché un seul instant avant de l’avoir terminé, je me suis dit que j’avais sans doute lu un de mes plus beaux livres de l’année. Pourtant, je n’aurais probablement pas acheté le livre spontanément. Une histoire sans action, un genre contemplatif ? Vraiment pas une lecture de vacances ! Échapper est un roman d’une rare sensualité ; le lecteur est embarqué par le narrateur et ses émotions, merveilleusement retranscrites dans le récit.
Lionel Duroy croise plusieurs intrigues. Il y a Augustin qui part en pèlerinage à Husum, petite ville allemande à la frontière danoise en bordure de Mer du Nord ; il s’y rend deux fois, une première fois avec Esther en 2011 puis seul en 2013. En parallèle, l’auteur raconte l’histoire de Max Ludwig Nansen, peintre et héros du livre La leçon d’allemand de Siegfried Lenz. L’interdit de peindre qui le frappe durant la seconde guerre mondiale lui est communiqué par son ami, le policier de Rugbüll, ville imaginaire à proximité d’Husum. Enfin, le lecteur est invité à suivre le parcours de vie d’Emil Nolde, peintre allemand expressionniste mort en 1956, l’alter ego de Max Ludwig Nansen dans la vraie vie. C’est Nolde qui a inspiré Siegfried Lenz pour écrire son livre. L’œuvre d’Emil Nolde est également jugée non conforme aux goûts artistiques du Reich. Augustin va remonter sa trace jusqu’à Mølgentønder, au Danemark
Tous les personnages de Lionel Duroy cherchent à échapper à leur destin. Augustin tente de se libérer d’Esther auprès de qui il s’est presque laissé mourir d’amour. Max Ludwig Nansen, ou plutôt Emil Nolde, cherche à contourner l’interdit qui le frappe et va peindre malgré tout. Et à travers l’histoire d’Augustin, le lecteur découvre aussi celle des habitants de la côte et leur combat incessant pour échapper à la mer et aux raz-de-marée qui les menacent « Comme c’est extraordinaire, cet acharnement des gens d’Husum à ferrailler avec la mer. Ils parlent sans cesse d’elle, tous les dimanches ils vont la défier en famille depuis la digue, et il n’y a pas besoin de beaucoup les pousser pour ressentir combien ils sont en colère. »
Que ce soient Augustin, Emil Nolde, Max Ludwig Nansen ou encore les personnages secondaires tels que Susanne ou les habitants d’Husum, ils sont tous amenés, à un moment donné de leur existence, à affronter la vie, leur vie. D’après Lionel Duroy, ce combat ne pourra pas être mené à bien sans une sérieuse introspection. Dans un style narratif délicieusement poétique, l’auteur livre celle de ses héros et aboutit, pour la plupart d’entre eux, à la conclusion suivante : « Nous sommes là pour vivre, c’est la seule chose à laquelle nous ne devons pas échapper. » Finalement, Échapper, c’est aussi l’histoire d’une quête, celle de la connaissance de soi.