Médecins du ciel

Barbara Bickmore

Traducteur : Claude Mallerin

Médecin du ciel

Presses de la Cité – 1995

 

Cassie est Australienne et médecin. Avant la Deuxième guerre mondiale, qu’une femme choisisse ce métier est tellement peu courant qu’elle doit se battre pour se faire respecter professionnellement. Elle y arrive dans un hôpital d’Adélaïde. Hélas, une peine de cœur l’oblige à quitter cet hôpital ; elle accepte un poste à Augusta Springs chez les Médecins volants, organisation caritative qui fournit avion, pilote et médecin à l’intérieur du pays. La thèse est la suivante : les conditions de vie dans « l’intérieur » désertique sont tellement difficiles que seule l’assurance qu’un médecin se déplace en cas d’urgence permettra de convaincre des femmes d’habiter cet endroit inhospitalier.

Les Médecins volants, Royal flying doctors, est une association créée dans les années 1920 par le révérend John Flynn. Barbara Bichmore, romancière américaine née en 1927, s’est passionnée pour cette aventure australienne. Elle a accompagné de nombreux médecins dans des vols d’urgence, a assisté à plusieurs opérations à même le sol pour pouvoir se faire une idée de l’extraordinaire destin de ces pilotes et de ces médecins. Ils n’hésitent pas à effectuer des déplacements de plusieurs heures pour assister une parturiente, retirer une lance du mollet d’un aborigène ou effectuer une appendicectomie sur la table d’une cuisine. Dans Médecin du ciel, elle restitue avec brio l’aventure médicale. Si je pouvais un jour me rendre en Australie, un de mes objectifs serait certainement d’aller à Alice Springs visiter le musée dédié à ces femmes et ses hommes dévoués que j’ai découverts grâce à Barbara Bickmore.

Le monde de l’intérieur est également présenté de manière captivante. La cohabitation pacifique mais dépourvue de passion entre les blancs et les aborigènes est un des autres aspects intéressants de ce roman. On peut également citer la vie des éleveurs de chevaux, de moutons, les ambitions progressistes de certains riches fermiers ; mais ces thèmes sont moins originaux, développés dans de nombreux autres ouvrages.

Le roman n’en est hélas pas exceptionnel pour autant. Les héros, un brin stéréotypés, transforment ce beau roman en romance, surtout dans le dernier tiers. Bien sûr, l’aventure sentimentale ne pouvait pas être exclue de la vie des citoyens d’Augusta Springs. Il eut été réducteur de suivre une petite dizaine de héros sur plus de quinze années sans voir évoluer leurs sentiments. Mais l’auteure met un peu trop l’accent sur les faiblesses masculines et féminines qu’elle cherche à dénoncer. Le machisme suinte à toutes les pages ou presque, c’en est presque fatigant. Elle rend son héroïne nunuche à force de passivité face aux hommes, ce qui est d’autant moins crédible qu’elle se débrouille très bien pour se faire respecter (des mêmes hommes) en tant que professionnelle. Cette faiblesse du roman n’est pas un problème en soi dans la première moitié de l’histoire au cours de laquelle les héros font connaissance et le lecteur se familiarise avec eux. Mais Barbara Bickmore insiste sur ces traits de caractère dans la deuxième partie, tandis qu’Augusta Springs se modernise et se développe. C’est trop et vraiment dommage. Descriptions trop lourdes et vieillottes pour être vectrices efficaces de messages auprès du lecteur du XXI° siècle ; on a pourtant toujours autant besoin de ce type de rappel, aujourd’hui.

J’ai pourtant lu ce roman avec plaisir (découvert il y a une dizaine d’années, relu tout récemment) car l’incroyable aventure des médecins volants m’a passionnée dès ma première lecture. Il y a certains destins que l’on aimerait partager, parfois.

=> Pour en savoir plus sur les Médecins volants : https://www.flyingdoctor.org.au/

=> Quelques mots sur l’auteur Barbara Bickmore

 

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Dans la chaleur de l’été

dans la chaleur de l'étéVanessa LAFAYE

Dans la chaleur de l’été

Belfond – 2016

 

Floride, 1935. Trois communautés se partagent l’espace dans la petite ville de Heron Key : les blancs, les noirs et les vétérans de la Première Guerre mondiale. Ces derniers, à qui le gouvernement a refusé une prime pourtant promise, se sont installés là pour participer à un immense chantier de construction. Leurs conditions de vie sont déplorables et les autochtones les rejettent. C’est le 4 juillet, jour de la fête nationale, en pleine période de ségrégation et de lynchages. Heron Key ne sait pas encore que dans quelques heures, un des ouragans les plus violents de l’histoire va anéantir la ville.

La description des conditions météorologiques est une véritable prouesse. Le lecteur est littéralement soufflé par le vent, trempé par la pluie, balayé par les vagues. Il n’a qu’une envie, c’est d’hurler aux personnages imprudents de rejoindre au plus vite les abris qui ont fait leur preuve par le passé.

On peut regretter en revanche quelques faiblesses dans l’intrigue. Sur fond historique, c’est une romance qu’a écrit Vanessa Lafaye. Les héros positifs sont désignés dès les premières pages. La survie de certains n’est due qu’à des évènements difficilement crédibles. La psychologie des individus est peu fouillée et ce n’est pas la force du roman.

S’il faut lire Dans la chaleur de l’été, c’est pour les rappels des conditions sociales et technologiques des années 1930. On ferme le livre profondément troublé par une époque qui ne peut pas se glorifier d’humanisme, même pour lutter contre la mort qui ne choisit pas ses victimes.

Merci à l’édition Belfond et à l’opération Masse Critique de Babelio pour m’avoir permis de découvrir ce roman.

=> Quelques mots sur l’auteur Vanessa Lafaye

Les retrouvailles

Les retrouvaillesApolline Thiéry

Les retrouvailles

ELP Editeur – 2014

 

Incroyable mais vrai, l’auteur de ce roman plein d’émotion est une lycéenne. Combien de lycéens connaissez-vous, capables d’écrire un livre de 120 pages ?

Sarah est une jeune femme de 30 ans. Son père Jacques de Risbourg se meurt. Il choisit ce moment pour avouer à sa fille le secret de famille qu’elle porte sur ses épaules sans le savoir, depuis sa naissance. Un secret lié à l’histoire de sa mère Clara, mère absente qui se suicide quand l’enfant est adolescente. Sarah s’est construite convaincue de ne jamais avoir été aimée. Dans le témoignage de Jacques, elle va brutalement apprendre qu’il n’est pas son père biologique. Heureusement, dans le même document il lui fournira la preuve de l’immense amour de sa mère pour elle, que son triste passé empêche d’exprimer.

Apolline Thiéry, avec une grande maturité, raconte la terrible histoire de Clara Schiller. Son présent, ses amours perdues, son enfance. Allemande, elle déménage en France à sa majorité. Tout comme Pauline Dubuisson, la meurtrière de 1961 qui a fait couler tant d’encre (tout récemment encore, Jean-Luc Seigle et Philippe Jaenada ont publié chacun un livre sur cette femme), Clara Schiller passe d’un homme à l’autre, incapable de s’attacher. Pourquoi ? Apolline Thiéry nous l’apprendra dans ce roman. Au fil des pages, le lecteur finira par aimer Clara, cette femme qui ne s’aime pas elle-même. Le premier secret de famille, c’est elle qui en subit les conséquences. Elle n’y survivra pas.

Comment un auteur aussi jeune a-t-il su évoquer des thèmes aussi forts avec des mots aussi simples ? Bien sûr, l’écriture est encore maladroite. Trop de clichés ont gêné ma lecture. Certains chapitres mériteraient d’être retravaillés dans un style plus mature. Il n’en reste pas moins que j’ai ressenti de l’empathie pour le personnage de Clara. Que l’émotion passe. Apolline Thiéry a tout d’un auteur en devenir.

=> Quelques mots sur l’auteur Apolline THIERY

Raison et sentiments

raison et sentimentsJane Austen

Raison et sentiments

Editions 10/18 – 374 pages

 

J’ai lu tellement de critiques de livres de Jane Austen ces derniers temps que j’ai décidé d’écrire les miennes. Je commence par Raison et sentiments, qui se trouve être le premier livre qu’elle a écrit, en 1795. Repris et corrigé plusieurs fois, il a dû attendre 1811 pour être publié. Jane Austen ayant voulu garder l’anonymat, Sense and Sensibility est paru écrit par A Lady.

Raison et sentiments raconte l’histoire de Mrs. Dashwood et de ses trois filles, Elinor, Marianne et Margaret. A la mort de Mr. Dashwood, le fils aîné de celui-ci né d’un premier mariage hérite de la maison et de la fortune paternelles. Il promet au mourant d’aider financièrement ses sœurs et sa belle-mère, mais influencé par son épouse, il n’en fera rien et les quatre femmes soudain appauvries se retrouvent dans l’obligation d’accepter la location de Barton Cottage dans le Devonshire, généreusement proposé par un cousin de Mrs. Dashwood.

La vie campagnarde s’écoule lentement à Barton, entre les rencontres quotidiennes avec Mr. et Mrs. Middleton, le colonel Brandon, Mrs. Jennings ou encore les Palmer ou Anne et Lucy Steele. Marianne s’éprend de Willoughby, un jeune homme venu séjourner chez sa tante dans les environs. Passionnée dans tous ses rapports avec autrui, elle ne cache pas ses sentiments, au contraire d’Elinor, beaucoup plus réservée, qui garde pour elle les tendres pensées que lui suggère Edward Ferrars, le frère aîné de sa désagréable belle-sœur.

L’intrigue de Raison et sentiments se développe autour des différences de conduite entre les deux sœurs. Dans la joie comme dans les peines, l’aînée va témoigner d’une grande maîtrise d’elle-même dans le souci constant de ne pas inquiéter son entourage, tandis que la cadette, sans aucune retenue, étale ses sentiments jusqu’à afficher un mépris offensant à l’égard de ceux dont elle estime que le commerce est une pure perte de temps.

Jane Austen peaufine ses personnages jusqu’au plus petit détail. Aucun n’y échappe, pas même les personnages secondaires. Elle prouve dans Raison et sentiments sa capacité à restituer finement les caractères. Elle y prépare le lecteur au ton cynique qu’elle adoptera dans ses autres romans lorsqu’elle évoquera des attitudes mesquines, égoïstes ou encore naïves ou simplement stupides.

Il en est ainsi de cet extrait, dans lequel la taille de deux jeunes garçons est comparée par des femmes aux intérêts bien différents :

« Chacune des deux mères, quoique réellement convaincue, en son for intérieur, que son fils était le plus grand, se décida poliment en faveur de l’autre.

Les deux grand-mères, avec non moins de partialité, mais plus de sincérité, furent également empressées à soutenir la cause de leur propre descendant.

Lucy, qui désirait autant plaire aux parents de l’un que de l’autre, exprima cette idée que les deux enfants étaient remarquablement grands pour leur âge et qu’elle ne pouvait concevoir qu’il y eut entre eux la plus petite différence. Et Miss Steele, avec encore plus d’adresse, donna son suffrage, aussi énergiquement que possible, successivement en faveur de l’un et de l’autre.

Elinor, ayant une fois exprimé son opinion en faveur de William, en quoi elle choqua Mrs. Ferrars et encore plus Fanny, ne vit pas la nécessité de la renforcer en la répétant ; et Marianne, lorsqu’on lui demanda la sienne, les choqua tous en déclarant qu’elle n’avait pas d’avis à donner, parce qu’elle ne s’était jamais avisée d’y penser. »

Raison et sentiments n’est pas le meilleur livre de Jane Austen. Mais à l’instar du film d’Ang Lee (1996) avec Emma Thompson, Kate Winslet et Hugh Grant ou encore le téléfilm de John Alexander (2007) avec Charity Wakefield et Hattie Morahan, c’est un livre d’une grande fraîcheur dont la lecture est un pur plaisir.

=> Quelques mots sur l’auteur Jane AUSTEN