Dans le secret des princes

Christine Ockrent – Alexandre de Marenches

Dans le secret des princes

Editions Stock – 1986

 

Alexandre de Marenches a été responsable du SDECE entre 1970 et 1981. Le SDECE est l’ancien nom de la DGSE, les services secrets français à l’international. Dans ce texte, ce dialogue plutôt, il se raconte et analyse la géopolitique d’un regard pointu.

J’ai hésité à lire cet ouvrage découvert dans une boîte à livres, craignant son côté obsolète. L’échange entre la journaliste et le chef des agents secrets a en effet eu lieu en 1985 ou 1986, avant la Glasnost, donc ; dès les premières pages, d’ailleurs, Alexandre de Marenches, ancien aide de camp du Colonel Juin pendant la Deuxième guerre mondiale (entre ses 20 et 25 ans), proche du Général De Gaulle, aborde la reconstruction de l’Europe en 1945 sous un angle fortement anticommuniste. N’est-ce pas dépassé ? La finesse de son approche, didactique et profonde, m’a en fait fascinée. Dès lors, j’ai lu le documentaire sous l’angle des enjeux mondiaux tels qu’ils se jouaient avant la chute du communisme ; comme un récit historique, donc.

Le dialogue se compose de chapitres thématiques. Après quelques pages consacrées à la Deuxième guerre mondiale et son rôle aux côtés du Général Juin, Alexandre de Marenches passe rapidement sur les vingt années pendant lesquelles il sert De Gaulle dans des missions secrètes, avant d’aborder le fonctionnement du SDECE et son propre rôle au sein de cette organisation. Puis il explique à Christine Ockrent sa vision de la géopolitique sous son règne (Afrique avec zoom sur l’Angola, Afghanistan, Iran, Proche-Orient) et les grandes menaces qu’il voit peser sur le monde et le XXI° siècle qu’il ne lui sera pas permis de découvrir (il est décédé en 1995).

Si l’angle anticommuniste m’a fait sourire dans les premières pages, comme un fait d’histoire ancienne qui marquera le XX° siècle mais dont la menace est désormais écartée, au fil des pages, j’ai finalement compris l’importance de cette approche. En s’appuyant sur des faits (invasion de l’Afghanistan), les enjeux économiques (la guerre du pétrole), le fonctionnement du KGB et de ses antennes ou le rôle joué par quelques émissaires soviétiques (comme Kadhafi), il explique les rouages de la politique internationale, les menaces qui pèsent sur les « démocraties molles », l’importance fondamentale des appuis pour comprendre le monde. Alexandre de Marenches a été l’ami d’Hassan II, il a fréquenté Ronald Reagan, il a dîné avec d’innombrables hommes politiques et hommes de l’ombre et en a tiré une connaissance du monde stupéfiante.

Ce documentaire est à lire par les jeunes et les moins jeunes. La compréhension du monde contemporain passe nécessairement par la connaissance de celui d’hier.

=> Quelques mots sur l’auteur Alexandre de Marenches

=> Quelques mots sur la journaliste Christine Ockrent

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La solitude du pianiste

Catherine Rolland

La solitude du pianiste

Editions Les Passionnés de bouquins – 2016

 

Yann Kassowicz est pianiste virtuose. Veuf depuis quatre ans, il a retrouvé un nouvel équilibre entre Louise, son agent, Nathan et Sarah, ses enfants adolescents et Matthias, son frère, venu s’installer chez lui avec ses propres enfants. Tout semble aller comme sur des roulettes, dix jours avant un concert majeur qu’il doit donner à l’Auditorium de Lyon. Sauf qu’un mal de tête épouvantable vrille sa tête depuis quelque temps. Loin de la simple migraine, ses douleurs ont un lien avec le décès de sa femme quelques années plus tôt.

Catherine Rolland signe là un thriller dont la construction est particulièrement intéressante. Le secret que Yann pensait détenir seul est en fait partiellement connu de plusieurs individus qui gravitent autour de lui. Le lecteur assiste à une enquête menée, non par une personne seule, un duo de choc ou des policiers comme dans un thriller classique, mais par plusieurs témoins de faits individuels, tous liés à la disparition de l’épouse du pianiste : une vieille professeure de musique, le frère du virtuose et ses enfants. Une enquête intergénérationnelle, en quelque sorte, qui n’est pas sans évoquer les besoins de construction de l’enfant au contact d’adultes de différentes classes d’âge.

Dans Ceux d’en haut, premier roman de l’auteure que j’ai lu, le lecteur est plongé avec des détails d’une précision redoutable dans le milieu hippique. Dans La solitude du pianiste, c’est dans les partitions de piano que Catherine Rolland nous immerge. L’analyse technique des œuvres du répertoire classique a beaucoup touché l’ancienne pianiste qui dort en moi. J’ai intensément ressenti dans le texte les enjeux de la planification et des répétitions d’un concert, au point de m’imaginer un peu sur les devants de la scène aux côtés du héros.

La solitude du pianiste est le troisième roman de l’auteure (elle en a publié un quatrième depuis : Sans lui). Les portraits sont subtils et le développement psychologique des personnages maîtrisé. S’il reste de petites maladresses dans l’écriture, elles sont balayées par l’intérêt de l’histoire.

Si vous souhaitez connaître l’univers du pianiste professionnel, si vous aimez les bons thrillers, si, tout simplement, vous êtes à la recherche d’un roman pour égayer votre soirée, lancez-vous aux côtés de Yann et de ses amis dans l’enquête captivante dont je ne dévoile pas davantage. Vous passerez un moment de lecture très agréable.

=> Quelques mots sur l’auteur Catherine Rolland

D. L’affaire Dreyfus revisitée

DRobert HARRIS

D. L’affaire Dreyfus revisitée

Plon, 2014

 

En six mois, voici le deuxième roman que je lis sur l’affaire Dreyfus. Le premier, Lucie Dreyfus – La femme du capitaine (paru aux Editions Textuel, 2015), est un essai écrit par Elisabeth Weissman, dont le personnage central est Lucie, la femme d’Alfred Dreyfus.

D. est un roman basé sur l’affaire qui a secoué la France au tournant du XX° siècle. Pas de sources documentaires, donc. Ayant un souvenir encore très précis de la biographie d’E.Weissman, je retrouve dans le roman de Harris les faits significatifs de l’affaire, à la nuance près qu’il a choisi George Picquart comme narrateur. Le commandant Picquart a joué un rôle mineur dans l’arrestation du capitaine en 1894. Convaincu de sa culpabilité, ce n’est que deux ans plus tard, lorsqu’il découvre par hasard l’identité du véritable traître, qu’il comprend l’erreur formidable dont est victime Dreyfus et qu’il tente de rétablir la vérité.

Avant d’être un livre sur Dreyfus, D. est un livre sur un scandale d’Etat, sur l’antisémitisme et la succession des mensonges dont a été coupable l’état major de l’armée, au point de maintenir prisonnier à l’Ile du Diable un innocent, innocenter un coupable et accuser de mensonges et de félonie un commandant honnête, dont le seul crime a été de vouloir mettre en lumière les faits inouïs qui ont conduit Alfred Dreyfus en détention dans des conditions dignes du Moyen-Age.

Oubliez Dreyfus et placez l’histoire dans une république balbutiante où l’armée, toute puissante, peut commettre des exactions indignes, en toute impunité. Voilà les ingrédients d’un livre d’espionnage rassemblés. C’est le défi que s’est lancé Robert Harris. Le résultat est très bon. Roman en deux parties au rythme dynamique, dans lequel Picquart apparait comme un militaire avant tout, antidreyfusard incontestable, puis peu à peu guidé par sa conscience, indépendamment de son idéologie, au risque de se perdre lui-même. Sans connaître l’histoire de France, le lecteur pourrait dévorer les six-cents pages du roman en méditant sur notre chance extraordinaire : notre pays est une démocratie depuis si longtemps qu’une telle succession d’erreurs et de lâchetés ne peut pas s’y produire aujourd’hui. Robert Harris a-t-il voulu lancer un avertissement aux démocraties, pour rappeler leur fragilité ?

=> Quelques mots sur l’auteur Robert Harris

Les derniers jours de nos pères

Les derniers jours de nos pèresJoël Dicker

Les derniers jours de nos pères

Editions De Fallois, 2012

 

Connaissez-vous le SOE, les services secrets britanniques pendant la Deuxième guerre mondiale ? Je ne connaissais pas, jusqu’à la lecture des Derniers jours de nos pères. Le SOE recrutait et formait des agents secrets pour les envoyer dans les pays en guerre. Souvent natifs de ces pays, ils parlaient parfaitement la langue, se coulaient aisément dans la population par totale maîtrise des coutumes et de la culture locale. Une partie de la résistance française est passée par les centres de formation du SOE, parallèles aux organisations de la Résistance conduites par le Général de Gaulle.

Dans son premier roman, Joël Dicker, aujourd’hui écrivain de grand renom grâce à La vérité sur l’affaire Harry Québert couronné de nombreux prix, raconte sous une forme presque documentaire l’aventure du SOE, à travers l’histoire d’une quinzaine de recrues de la section F consacrée aux missions françaises. En Grande Bretagne, Pal, Claude, Gros, Laura et les autres subissent quatre mois de formation impitoyable dans des centres spécialisés avant d’être envoyés en mission. Sabotage, contre-espionnage, propagande noire, ils sont affectés selon leur spécialité aux différents métiers des services secrets, aux quatre coins de la France.

Fiction ou documentaire ? Les deux et aucun. J’ai été très intéressée par ce roman qui m’a beaucoup appris sur l’organisation et la structuration des services secrets et de la résistance. Je suis pourtant restée sur ma faim : le sujet est abordé de manière assez générale, avec peu de détails sur les difficultés concrètes du terrain, probablement pour laisser de la place à la romance. Quant aux héros, Joël Dicker s’est attaché à décrire leurs états d’âme avec beaucoup de finesse. C’est le moral qui permet aux agents secrets de tenir le coup dans la clandestinité. Constamment recherchés par la Gestapo, ils ne peuvent déjouer les pièges qu’en maîtrisant leur peur. Pourtant, les caractères sont brossés de manière trop grossière. Certains évènements sont tirés par les cheveux, comme si l’auteur avait voulu introduire du piment dans son histoire, sans réussir vraiment à rendre ces épisodes crédibles.

Les derniers jours de nos pères pose une question essentielle et c’est en cela que le livre est fort. De quelle étoffe est fait un héros ? Au nom de la patrie, est-il héroïque de laisser son propre père mourir de désespoir ? La guerre est destructrice, sans aucun doute. Au retour de la paix, les jeunes patriotes seront canonisés par l’Europe entière. Mais leurs fantômes, ces vies qu’ils auront brisées pour sauver le monde de la servitude, ne les lâcheront jamais. Quelle facette de ces résistants est la plus héroïque ? Celle de l’homme ou celle du soldat ?

=> Quelques mots sur l’auteur Joël DICKER