Le père David, l’Impératrice et le Panda

José FRESCHES

Le père David, l’Impératrice et le Panda

XO Editions – 2017

 

J’ai retrouvé ce livre dans ma PAL avant les vacances. J’avoue ne pas me rappeler de quelle manière il a atterri là ; un cadeau, certainement. J’ai trouvé le titre évocateur (disons qu’il promettait un mix sympathique de spiritualité, de zoologie et d’Histoire). Les deux adorables espiègles de la couverture, même si leur regard est tourné vers le festin de bambou qui les attend, m’ont fait de l’œil. Et me voilà partie à lire 450 pages sur la Chine du XIX° siècle décrite par un occidental du XXI° siècle. Bon. J’ai terminé le livre.

Je le connaissais de nom, José Frèsches, mais je ne le situais pas sur l’échiquier littéraire. Je suis allée fouiller dans sa biographie assez rapidement après avoir attaqué le pavé, car le style pompeux sur un sujet fort bien documenté m’a intriguée. Ah oui, bien sûr, c’est l’homme de la privatisation de TF1. Je me rappelle maintenant. Heureusement, il ne peut être résumé à ça : son parcours universitaire et professionnel légitiment son écriture d’un roman sur la Chine. C’est loin d‘être son premier, d’ailleurs, puisque Babelio référence 38 livres de José Frèsches. Jade, Impératrice, Bouddha, Opium… la grande majorité de ses ouvrages depuis 2002 sont consacrés à la Chine. Vraiment pas surprenant et amplement justifié.

Revenons à notre panda. J’ai terminé le livre et hélas, ma prouesse a été grande. Mon voyage à Pékin en décembre dernier a été le véritable moteur de ma persévérance : il y a en effet dans le roman de nombreuses références à la deuxième guerre de l’opium (1856-1860), que le statut touristique du Palais d’été de l’Impératrice Cixi d’aujourd’hui dénonce à coup d’affichettes dans toutes les allées reconstruites à l’identique après leur incendie par les forces franco-anglaises en 1860.

Nous voilà donc plongés dans l’intrigue. L’Impératrice de José Frèsches n’est autre que Cixi. Le Père David, un ecclésiastique français passionné de naturalisme. Et le Panda, le premier panda capturé dans les forêts du Sichuan et ramené dans le jardin exotique de la Cité Interdite en 1869. Voilà l’histoire. J’ai spoilé les 450 pages du roman de José Frèsches. Oups.

Bon, pas exactement, heureusement. Le lecteur va suivre le père David dans ses missions de sauveur des âmes égarées (les méthodes du XIX° siècle ne valent pas les bonnes vieilles croisades et leurs cruautés, croyez-moi). Il va aussi découvrir les fumeries d’opium (c’est vraiment horrible), les racines de l’éthique animale actuelle (les descriptions des tortures animales sont insoutenables), les méthodes punitives du pouvoir impérial (beurk, vraiment). Le tout dans un style médiocre où les digressions sont de mises, sans les parenthèses multiples de Philippe Jaenada dont ce style fait la saveur, mais avec l’ennui des boîtes qui s’ouvrent dans des boîtes et des boîtes, avec lourdeur et inintérêt. Un exemple ? « C’était une pièce exiguë, identique aux autres bureaux des professeurs. Charles Rohault de Fleury, l’architecte du Muséum, à la tête du réaménagement du vieux château acheté par Louis XIII en 1833 dans le dessin de créer dans son parc le jardin des plantes médicinales, avait consacré l’essentiel de l’espace aux galeries d’exposition, auxquelles le public avait accès sur rendez-vous, ainsi qu’aux réserves, où s’entassaient les collections constituées par plusieurs générations de naturalistes et provenant des quatre coins de la planète. Celles-ci rengorgeaient de minéraux, fossiles, plantes séchées, squelettes et animaux de toutes sortes – les uns empaillés, d’autres conservés dans des bocaux emplis de la solution de Ruysch –, ainsi que des insectes, simplement placés dans des boîtes ou collés sur les planches. Pincus était en nage lorsque, à peine entré, il ouvrit les deux battants de l’unique fenêtre qui donnait sur le Jardin des Plantes, afin de dissiper l’odeur de médicament de la pièce. » (Moi aussi, tellement José Frèsches m’a perdue avec ses descriptions qui s’éternisent).

Vous l’aurez compris, le contenu est certes instructif, mais j’ai dû m’asseoir sur le style qui manque de fluidité et de charme. Dans un mois, j’aurai oublié le livre.

=> Quelques mots sur l’auteur José Frèsches

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La vengeance des mères

Jim Fergus

Traducteur (Etats-Unis) : Jean-Luc Piningre

La vengeance des mères

Le Cherche Midi – 2016

 

La vengeance des mères ne se lit pas sans avoir lu le premier volet de cette épopée, Mille femmes blanches (Le Cherche Midi), paru seize ans avant. Il s’agit de la suite de l’histoire des femmes blanches échangées par le gouvernement américain contre autant de chevaux, dans un accord secret avec une tribu cheyenne. L’intrigue se situe en 1875, à l’aube de la bataille de Little Big Horn, sanglante défaite de la Septième cavalerie du Général Custer où celui-ci a perdu la vie.

Le livre est structuré sous forme de carnets et journaux de femmes blanches issues de ce troc, qui ont épousé la cause indienne. Tour à tour, elles racontent les évènements intimes et tribaux qu’elles ont traversé. Certaines d’entre elles vivent dans la tribu depuis un an. D’autres depuis quelques semaines seulement.

La construction du roman est intéressante. Les textes, d’une narratrice à l’autre, varient en fonction de leur connaissance du monde cheyenne et de leur niveau d’éducation. L’auteur s’est appliqué à adapter le style et le vocabulaire à la personnalité qui prend la plume. Je ne placerai pas les différents textes au même niveau de subtilité. Certains font même mal aux yeux, tellement la qualité stylistique est mauvaise. Il s’agit d’un choix manifeste de l’auteur, pour poser la classe sociale de chaque narratrice. Grossier, mais efficace.

L’histoire, annoncée dès les premières pages, est terrible. Ces femmes écartelées entre leur ancienne vie sans issue et la nouvelle qui les lie au sort des Indiens, forcent le respect. Le lecteur ne peut pas rester insensible au destin étrange de ces femmes, envoyées chez les Cheyennes par le même gouvernement qui choisira de les sacrifier quelques semaines plus tard.

Sauf que… La vengeance des mères manque d’âme. Jim Fergus n’a pas su jouer des mots avec suffisamment d’émotion. En tant que lectrice, je n’ai pas vibré avec ces femmes. Comme si l’auteur n’avait pas su se mettre à la place des endeuillées. La douleur est écrite, mais distante et peu crédible.

Il en est de même pour les parties descriptives du grand Ouest américain. Ernest Haycox, dans Les clairons dans l’après-midi (Actes Sud, 2013), a eu le don de décrire les mêmes paysages, les mêmes scènes de bataille à Little Big Horn d’une telle manière qu’il communique au lecteur les parfums, la chaleur ou encore l’aridité des lieux. Rien de tel chez Jim Fergus, autre faiblesse du roman à mes yeux.

Mais La vengeance des mères, plus encore que Mille femmes blanches, a le mérite de pointer du doigt les atrocités commises par l’homme blanc contre les Indiens et leurs conséquences sur le peuple natif, jusqu’à aujourd’hui. C’est la force du roman. Les rappels des atrocités commises par le passé ne sont jamais superflus.

=> Quelques mots sur l’auteur Jim Fergus

Un crocodile sur un banc de sable

Elizabeth Peters

Traduction de l’anglais (Etats-Unis) : Louis de Pierrefeu

Un crocodile sur un banc de sable

Le livre de poche – 1999

 

Bonheur du lâcher-prise et des lectures fraîches ! Je suis pourtant sévère sur ce genre et ce n’est pas peu dire. Des romans « feel good » sans fond, très peu pour moi. Un crocodile sur un banc de sable correspond au genre et à mes exigences. Un régal.

A la fin du XIX° siècle, Amelia Peabody est Anglaise, fille d’un professeur Tournesol qui a la riche idée de décéder en laissant à sa fille une somme rondelette. Assez pour lui permettre de voyager à son aise. A Rome, elle sauve une exquise jeune compatriote de l’opprobre générale et l’engage comme femme de compagnie. Les deux femmes quittent l’Italie pour l’Egypte, sans savoir qu’elles vont au-devant d’étranges aventures, comme de braver une momie qui tente de dissuader des archéologues de poursuivre leurs fouilles dans le site d’El-Amarna, tombeau du pharaon hérétique Akhenaton.

Elizabeth Peters, pourtant Américaine, a écrit ce premier roman d’une longue série dans un style tout à fait british. Les personnages sont truculents, leurs dialogues vifs et cocasses. Ah, quel régal que les échanges entre la vive Amelia et le sombre Radcliffe ! Le lecteur devine la valse amoureuse derrière les joutes verbales, pour son plus grand plaisir !

En parallèle et presque mine de rien, la romancière aborde des sujets de fond d’importance. Le pillage des trésors d’Egypte antique en est un. Comment l’empêcher ? Comment protéger les découvertes des collectionneurs et des marchands d’art ? Sur cette question, Elizabeth Peters est assez fataliste. Les dégâts sont tels à l’époque de l’écriture de ce récit (1975) qu’elle sait évoquer une plaie que les autorités n’ont pas pu enrayer. Spécialiste d’égyptologie, elle regrette l’impossibilité de dater des vestiges retrouvés dans des collections privées ou des boutiques, qui conduit à l’impossibilité de les retourner aux tombeaux qui les contenaient.

Le deuxième thème évoqué mine de rien, mais qui a une importance majeure dans ce récit, c’est la suprématie anglaise en Egypte, à l’époque de l’histoire. Les héros sont des colonialistes, dans tous les sens du terme. La condescendance de certains personnages vis-à-vis des Egyptiens qu’ils côtoient est caricaturale, pour le plus grand plaisir du lecteur. Mais même chez les héros les plus ouverts, elle n’a pas manqué de me frapper. Elizabeth Peters a su placer ses personnages très justement dans leur époque, sans exagération, avec tout le tact qu’il faut pour qu’un lecteur du XXI° siècle puisse apprécier et l’intrigue et son contexte historique.

Voilà donc un roman digne des grands romans légers, qui font du bien à l’âme. Elizabeth Peters se place avec ce roman en sympathique successeuse d’Agatha Christie, l’auteur de Rendez-vous à Bagdad et autres romans sur fond de fouilles archéologiques.

Lecture adaptée aux périodes de vacances ou de vague à l’âme. Retour du sourire assuré !

=> Quelques mots sur l’auteur Elizabeth Peters

Fortunae – De pourpre et de cendres…

FortunaeChloé Dubreuil

Fortunae – De pourpre et de cendres…

L’Harmattan, 2016

 

Si vous aimez l’histoire, si vous rêvez de connaître de l’intérieur l’Europe du III° siècle, alors je vous recommande Fortunae.

Les empereurs Carin et Numérien ne sont plus. Dioclès leur succède, mais la passation du pouvoir n’est pas aisée ; le nouvel empereur a des réformes en tête, ce qui ne plait pas à tous les patriciens. Pendant ce temps, Albius Flaccus Ravilla, jeune romain verrier, se voit brusquement vendu comme esclave par son oncle qui doit éponger ses dettes. Il échoue dans le domaine du clarissime Titus Volutianus Tertius auquel il doit deux années de sa vie. La fille de celui-ci, Aleydis, secrètement convertie au christianisme, tombe amoureuse d’Albius et espère s’unir à lui à sa libération.

Le lecteur suit l’histoire de l’Empire romain à travers l’histoire de ces différents personnages, auxquels il faut ajouter Svenhild, ancienne disciple d’une prêtresse franque devenue muette et, loin de Rome, Atuo le gaulois qui s’engage dans un groupe de brigands, les Bagaudes.

Quel lien les unit les uns aux autres ?

A l’aube de son déclin, l’Empire tremble sur ses fondations. Ses frontières sont difficiles à garder, au sein des peuples soumis gronde la révolte. Les luttes pour le pouvoir, dans toutes les strates de la société, sont sans pitié. La mort rôde. Elle fait peur, elle est une compagne fidèle sur laquelle chaque individu sait devoir compter, qu’il soit patricien, homme du peuple, esclave, gueux des provinces soumises ou soldat.

Si les luttes de pouvoir ont traversé les siècles et passionnent tout autant nos générations actuelles que celles de nos ancêtres, certaines difficultés inhérentes à l’immensité d’un pays de l’Antiquité n’existent plus aujourd’hui. A commencer par la communication. Chloé Dubreuil a fait un immense travail de recherche pour écrire Fortunae. Le lecteur découvrira la vie de Saint-Sébastien avant qu’il ne soit transpercé de flèches, apprendra les remèdes d’antan pour panser les blessures, aura une vision de la résistance à la souffrance de nos ancêtres, ira à la rencontre des Bagaudes… La minutie des détails est fantastique. A l’aide d’un vocabulaire riche, presque technique, Chloé Dubreuil s’est attachée à reconstituer un univers qui projette le lecteur deux mille ans en arrière. J’ai vu dans le développement des différents personnages un réel intérêt historique. En revanche, mise parfois en difficulté face à un vocabulaire difficile, j’aurais apprécié un lexique à la fin de l’ouvrage : il m’aurait permis de mieux comprendre la finesse de certains détails que je ne suis pas sûre d’avoir savouré à leur juste niveau.

La lecture de Fortunae pendant mes années lycée m’aurait aidée à saisir l’âme de cet empire et les difficultés de le maintenir à flot. A proposer à nos lycéens latinistes ?

=> Quelques mots sur l’auteure Chloé Dubreuil

=> Autre avis sur Fortunae – de pourpre et de cendres… : Mes promenades culturelles

 

 

Je vous écris dans le noir

je vous écris dans le noirJean-Luc SEIGLE

Je vous écris dans le noir

Flammarion, 2015

 

Que ceux qui connaissent La Vérité lèvent le doigt. Celle de Clouzot, film tourné en 1960 avec Brigitte Bardot. Oscar du Meilleur film étranger en 1961. Il raconte la vie et le procès de Dominique Marceau, une jeune femme qui se retrouve en cour d’assise pour avoir assassiné son ex-amant de quelques coups de revolver. Ce film est basé sur une histoire vraie, celle de Pauline Dubuisson, étudiante en médecine, meurtrière de son ex-fiancé en 1950 avant de tenter de se suicider. Le sujet inspire le cinéaste, celui-ci en fait un film. Jusqu’ici tout va bien. Sauf que Pauline Dubuisson, condamnée à perpétuité, est libérée de prison au bout de neuf ans. A sa libération, elle achète une place de cinéma pour voir le film sur sa vie. Elle en est définitivement brisée, au point de quitter la France pour le Maroc sous une fausse identité, dans l’espoir de s’y reconstruire.

Dans Je vous écris dans le noir, Jean-Luc Seigle raconte sa vérité sur Pauline Dubuisson. Si son jury la condamne en 1953 sous les applaudissements de la France toute entière, Jean-Luc Seigle la défend avec force dans son roman. Elle a assassiné, le meurtre est incontestable. L’avocat général ne voit en elle que la dépravée, tondue à la libération, meurtrière quelques années plus tard. La vérité selon Clouzot. Jean-Luc Seigle nous fait découvrir la face cachée de la jeune femme. Son enfance heureuse entre ses parents et ses frères, son père surtout. Son adolescence frivole pendant la deuxième guerre mondiale. La disparition de deux de ses frères au tout début de la guerre et la dépression de sa mère qui s’en suit. L’instrumentalisation de Pauline, seize ans, avec ses conséquences dramatiques. Son père la sauve en 1944, tandis qu’il se suicide le lendemain de son arrestation pour meurtre. Il ne pourra plus jamais lui porter secours. Pauline n’expliquera ni son geste, ni sa vie, lors de son procès. Le procès de l’orgueil.

Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit d’un roman. Jean-Luc Seigle écrit à la première personne du singulier. C’est Pauline qui raconte. « Je m’appelle Pauline Dubuisson et j’ai tué un homme. » Le ton est implacable. Les faits glaçants. Le lecteur croit détenir entre ses mains la confession de Pauline. Pas celle d’une meurtrière qui tenterait d’expliquer son geste, mais celle d’une jeune femme ballotée par le destin, prisonnière de ses sens et de l’amour de son père et qui cherche à se raconter. Enfin.

L’empathie de l’auteur pour son héroïne est contagieuse. Le ton est juste. Les mots adaptés à leur époque. Jean-Luc Seigle se substitue avec une telle rage à Pauline Dubuisson, que le lecteur a tendance à oublier le roman pour y voir une biographie. La Vérité selon Seigle écrase celle selon Clouzot. Du grand art.

Grand prix du roman ELLE 2016

=> Quelques mots sur l’auteurJean-Luc SEIGLE

Et ils oublieront la colère

et ils oublieront la colèreElsa MARPEAU

Et ils oublieront la colère

Série noire Gallimard

 

Et ils oublieront la colère, ce sont deux enquêtes imbriquées l’une dans l’autre. Celle associée au meurtre de Mehdi Azem, professeur d’histoire-géographie passionné par la deuxième guerre mondiale et celle que conduit Mehdi Azem relayé après sa mort par la capitaine de gendarmerie Garance Calderon au sujet de la tondue Marianne Marceau en 1944. Une « collabo horizontale ». Afin d’éviter de rendre l’intrigue trop linéaire, Elsa Marpeau introduit dans son polar un volet d’ordre plus psychologique, l’histoire personnelle de Garance Calderon hantée par quelques fantômes, dont celui de sa mère prostituée, décédée alors qu’elle était encore enfant.

L’intrigue se déroule presque dans un huit-clos. Mehdi Azem est tué à proximité de sa propriété, dans le hameau de l’Hermitage. Dans cet hameau, seules trois maisons se dressent. Une des maison appartient à Christophe Marceau le petit fils de Paul, sa femme et leurs trois enfants adolescents ; dans l’autre habitent la vieille Colette et sa fille Rose ; Mehdi Azem a fait l’acquisition de la troisième maison, celle où avaient grandi Colette, Paul et Marianne Marceau, la tondue de 1944. Pour élucider le meurtre de l’enseignant, la gendarme n’a pas d’autre choix que d’enquêter au sein de la famille Marceau. Pas une chose facile, compte tenu des non-dits, du caractère agressif ou presque limité de certains membres de la famille ou encore de l’âge de la génération de ceux qui ont pu connaître Marianne avant sa disparition en 1944.

Garance Calderon va rapidement faire un lien entre le meurtre de Mehdi Azem et la disparition de Marianne Marceau soixante-dix ans auparavant. Un lien bien fragile qui va l’obliger à déterrer un passé que personne n’a vraiment envie de remuer. Car enfin Marianne a disparu, le lieutenant allemand qui habitait parmi les siens aussi. Pourquoi revenir sur ces fantômes ? Garance s’y accroche, peut-être aussi pour des raisons dépassant les limites de l’enquête : cette affaire lui permettra de régler ses propres comptes avec son passé.

Elsa Marpeau utilise un langage haut en couleurs pour décrire l’univers de Garance « Devant un cadavre, [Garance Calderon] se pose en observatrice, comme devant une toile de maître. Il y a des tableaux tourmentés, agressifs, jouant sur des gammes chromatiques contrastées ». L’auteur n’hésite pas non plus à associer des images et des odeurs parfois violentes pour poser le décor des habitants du hameau « Aussitôt, l’odeur saisit Garance à la gorge. Une odeur âcre d’excréments, assez proche de l’odeur des corps en décomposition. ». Ces descriptifs donnent de la profondeur au style et compense le manque d’approfondissement de la psychologie des personnages.

Car ceux qui aiment saisir le psychisme des héros resteront sur leur faim en lisant Et ils oublieront la colère. En plus de petites incohérences, quelques évènements sont décrits d’une manière dont la crédibilité peut être mise en doute. Ainsi de l’altercation musclée entre Christophe Marceau et le maire. Garance Calderon arrive sur les lieux et observe que « Plusieurs hommes retiennent un petit teigneux […] qui tente par tous les moyens de leur échapper et donne des coups dans le vide ». Puis, quelques vifs échanges verbaux plus tard, ce même homme part tranquillement « A ces mots, l’homme aux doigts tranchés se détourne et s’en va. Il s’éloigne lentement vers la route. ». On a du mal à croire à cette scène.

L’intrigue est dense et bien ficelée. Pour la développer dans un même lieu à deux époques séparées de soixante-dix ans, l’auteur a dû imposer des limites à son récit. Le développement de la psychologie des personnages en est un. Malheureusement, une autre subtilité inutile marque le récit lors de la lecture : Elsa Marpeau fait démarrer l’enquête de Garance Calderon le 30 août 2015, soit huit mois après l’impression de son roman. Cette anticipation n’apporte pas d’éclairage particulier à l’histoire.

=> Quelques mots sur l’auteur Elsa MARPEAU

L’homme qui aimait les chiens

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L’homme qui aimait les chiens

Métailié – 2011

 

Le 10 juin 2015, Leonardo Padura s’est vu décerner le prix Princesse des Asturies des lettres, un des prix les plus prestigieux d’Espagne. Le jury a souhaité saluer l’auteur cubain pour son œuvre symbole de « dialogue et de liberté ».

Ce prix me remplit tellement de joie que je souhaite profiter de cette occasion pour rendre mon modeste hommage personnel à cet admirable auteur. Et comme c’est l’objectif de cette page du blog, je le ferai au travers d’une critique de son livre probablement le plus connu, L’homme qui aimait les chiens, paru en 2011 en France.

Ce livre retrace les destins croisés de deux hommes : Lev Davidovitch alias Trotski durant ses années d’exil de 1929 à sa mort en 1940 et Ramon Mercader, communiste espagnol, choisi par Staline pour être son bras armé dans l’assassinat de Trotski. Un troisième personnage, imaginaire celui-là, recueille à son insu la confession de Ramon Mercader au crépuscule de sa vie. Quoi de plus « paduresque » que cet Ivàn passionné de chiens, comme Mercader et comme Trotski ! Il va promener le lecteur dans le Cuba politique et social, des années 1970 à nos jours. Dialogue et liberté. L’hommage rendu à Leonardo Padura à Madrid consacre toute son œuvre. On retrouve le sens et la force de ces deux mots dans chacun de ses livres, y compris dans cette fresque historique majestueuse.

Dans L’homme qui aimait les chiens, Leonardo Padura analyse avec une finesse qui illustre la qualité de son travail de recherche, les ficelles tirées par Staline pour dominer le monde. Le lecteur assiste à la double destruction de l’individu et de la pensée. A travers des bonds et des rebonds qui le tiennent en haleine jusqu’à la dernière ligne, il découvre des pages majeures de l’histoire européenne relatées avec une implacabilité glaçante : l’anéantissement du rêve communiste en Espagne et en URSS, la traque psychologique puis l’assassinat de Trotski, les grands procès staliniens de 1936 et 1937, le pacte entre Hitler et Staline… En parallèle, comme s’il visionnait un film de guerre, il apprend l’art de formater un simple communiste espagnol en soldat de Staline, rouage majeur dans sa lutte à mort contre Trotski.

On dirait une fiction. Et pourtant ça ne l’est pas. Padura retrace les destins imbriqués de Trotski et de Mercader au travers de la plume d’Ivàn, et arrive à la même conclusion chez les trois hommes : ils ont été tous les trois des communistes sincères et ils ont fini par perdre la foi. Situation aberrante, Mercader tue Trotski alors même qu’aucun des deux hommes ne croit plus en la Révolution.

En 1970, le personnage de Trotski était à peine connu à Cuba ; tout au plus était-il mentionné vaguement, en tant que traître et de renégat. Ce personnage de perdant a intrigué Leonardo Padura, surtout après sa lecture de quelques livres d’Orwell qui circulaient en douce à Cuba, comme La Ferme des animaux ou, quelque temps plus tard, 1984.

Traître et renégat ? Staline a systématisé l’épuration politique et intellectuelle en URSS, installant un régime de terreur qui aurait compté vingt millions de victimes, « de façon que tout demeure sous le contrôle d’un État dévoré par le parti, un Parti dévoré par son Secrétaire général. ». Trotski aurait-il fait autrement, s’il avait conservé le pouvoir ? Padura émet l’hypothèse qu’en tuant un million de personnes, il aurait pu obtenir le même résultat. Touchante comparaison.

=> Quelques mots sur l’auteur Leonardo PADURA