Marceline LORIDAN-IVENS et Judith PERRIGNON
L’amour après
Bernard Grasset – 2018
Voici le troisième témoignage autobiographique de Marceline Loridan-Ivens, après Ma vie balagan (Robert Laffont, 2008) et Et tu n’es pas revenu (Grasset, 2015, coécrit avec Judith Perrignon).
Dans ces trois œuvres, elle décrit trois facettes différentes de son retour d’Auschwitz. Chaque roman est unique. Si Ma vie balagan évoque son combat politique, Et tu n’es pas revenu explique son impossibilité de reprendre la vie d’avant, lorsque la famille attend le retour du père, pas le sien. Dans L’amour après, l’auteure traite avec force le sujet de son émancipation sexuelle.
Incroyable bout de femme ! A l’âge de 89 ans, pétillante de malice, elle extirpe d’une valise, la valise d’amour comme elle l’appelle, les lettres enflammées qu’elle a reçues dans les années 1950. Avec un mélange de tendresse, d’humour et de brutalité, elle se souvient. La plupart de ses conquêtes de l’époque étaient des Juifs, rescapés des camps comme elle, ou pas. Ils lui ont tous servi d’alibi d’émancipation. Mais en ce qui concerne le plaisir physique, elle n’en a retiré aucun. Elle a été en effet incapable de jouissance pendant de longues années, conséquence directe de son vécu à Auschwitz. Il faut comprendre, et Marceline Loridan-Ivens l’explique fort bien, que dans les camps de concentration, le lâcher-prise conduisait à une mort certaine.
Il m’a fallu du temps pour comprendre que le plaisir vient du fantasme, puis de l’abandon. J’avais peur de l’abandon, c’était l’une des pires choses au camp, se relâcher, abandonner les luttes de chaque jour, flirter avec volupté vers l’idée que tout vous est égal, et devenir une loque qui n’attend plus que la mise à mort. Il m’a fallu faire taire la mauvaise voix en moi, celle qui parle la langue du camp, qui est chargée de son inhumanité, qui nous dédouble sans cesse, moi et bien d’autres qui ont connu le même sort.
Privée d’adolescence et de l’innocence des premiers émois amoureux, c’est adulte et meurtrie qu’elle se forge ses premières expériences, dans le seul but de désobéir à sa mère qui aimerait la marier et d’éprouver, encore et toujours, sa liberté.
Dans La vie après, elle raconte également les hommes qui ont marqué sa vie de femme. Celui qui n’a pas compté mais qui a réveillé son corps ; Francis Loridan, son premier époux, tendre échec qui l’éloignait des sphères intellectuelles. Et bien sûr Joris Ivens, son deuxième mari, avec qui elle a tourné tant de films documentaires.
Ce témoignage est aussi un prétexte pour évoquer l’époque – Marceline Loridan-Ivens ne serait pas elle-même, si elle n’évoquait pas ses combats. Elle raconte donc le milieu intellectuel qu’elle épouse, ses rencontres avec Georges Perec ou Edgar Morin. Elle évoque bien sûr ses combats politiques, l’Algérie en particulier. Et, à plusieurs reprises, elle parle de son amitié pour Simone Veil.
L’hommage à Simone est merveilleux, vibrant d’humanité.
A la mort de Simone, une amie m’a écrit d’Algérie, elle tenait à m’informer qu’un ancien détenu du FLN lui avait rendu hommage. Dans une tribune, Mohand Zeggagh a raconté tout ce qu’elle avait fait pour les Algériens emprisonnés, et il écrit même qu’il ne fut pas surpris d’apprendre alors que la protection au sein du gouvernement venait de deux anciens déportés des camps nazis. Mais ces mots-là, qui les a entendus ? Qui les a relayés ? Sont-ils audibles aujourd’hui ? Il faut répéter qu’une Juive survivante d’Auschwitz a tout fait pour sauver des femmes arabes de la torture et du viol. Il est là le sens de l’Histoire, et de l’humanité.
J’ai eu la chance inouïe de pouvoir rencontrer Marceline Loridan-Ivens dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE 2016. Je n’oublierai jamais l’aura que dégage cette petite femme d’un mètre cinquante à peine. Elle a écrit L’amour après deux ans après Et tu n’es pas revenu. Le récit montre à quel point sa fraîcheur intellectuelle reste intacte, même si son physique faiblit. Un chef d’oeuvre, à lire pour la beauté du texte et la lutte contre l’oubli.
=> Quelques mots sur l’auteur Marceline LORIDAN-IVENS
=> Quelques mots sur l’auteur Judith PERRIGNON
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