Chaque seconde est un murmure
Mercure de France – 2016
Iwill, vingt et un ans, marche sur les routes depuis l’accident qui a tué son amie Catherine deux années plus tôt. Par un temps froid annonçant l’hiver, au hasard des chemins, il arrive à Luzimpabar, chez deux êtres marginaux, Sarah et Laston. Fine psychologue, Sarah comprend que seul le temps apaisera la colère qui le mine. Elle lui remet un enjeu entre les mains : il ne quittera leur domaine que lorsqu’il aura écrit sa vie dans un livre de comptes à la couverture noire qu’elle lui tend.
Chaque seconde est un murmure raconte les tortures morales d’Iwill. Est-il réellement libre, dans cet éden où les chiens, comme des cerbères, montrent leurs crocs (et quels crocs !) dès qu’il s’approche d’eux ? Entre sa propre culpabilité, son attirance pour Sarah, le travail de forcené qu’il abat aux côtés de Laston et ce pacte étrange qu’il a signé, Iwill se débat. Il confie ses doutes et sa colère au livre de comptes ; le lecteur devine l’impasse dans laquelle il se trouve. Comment rester ? Comment partir ?
L’histoire dérange, volontairement. Qui est cet Iwill, si jeune et pourtant si mature ? Qui sont Sarah et Laston, isolés dans leur domaine sauvagement gardé par une meute menaçante ? Pourquoi leur sollicitude extrême envers le jeune homme ? Pourquoi les sempiternelles questions, le doute et le découragement d’Iwill n’évoluent-ils pas durant le séjour intemporel qu’il passe à Luzimbapar ?
Comment classer ce roman ? L’écriture d’Alain Cadéo, d’une grande maîtrise, est poétique et précise. L’auteur s’était déjà distingué dans son roman précédent, Zoé (Mercure de France, 2015), aux même accents humains et musicaux. L’auteur sait exactement où il veut emmener le lecteur ; il faut lire jusqu’à la dernière ligne pour comprendre à quel point le style sert l’histoire.
Si vous êtes attaché au style travaillé d’un roman, je vous recommande Chaque seconde est un murmure.
T’as vraiment une dégaine de vagabond mal nourri. Au fond c’est vrai, Sarah a raison, t’es beau comme un archange qui s’est cassé la gueule sur terre. Tu me fais un peu penser aussi à un drôle d’échassier qui aurait une aile pétée. Tu traînes ça comme un boulet. Allez phénomène, lève-toi et viens m’aider à creuser ma montagne. Tu verras, un jour tu reviendras et on pourra la traverser à pied ou en wagon et ça aura de la gueule. Tu pourras dire que tu as participé au tunnel de ton vieux copain Laston. C’est beau et c’est gratuit. On creuse tous dans nos vies, mais vient le moment où il faut sortir de terre, il faut sortir du tunnel. Et moi, tu le sais, si je creuse c’est pour voir le soleil se lever de l’autre côté. Alors réveille-toi, oh, tu m’entends carcasse ?
Carcasse… huit lettres.