Dans la peau d’un intouchable

Marc Boulet

Dans la peau d’un intouchable

Editions du Seuil – 1994

 

Marc Boulet négocie un contrat avec son éditeur pour pouvoir endosser pendant quelques semaines les habits et la vie peu enviable d’un mendiant intouchable à Bénarès, ville sainte au bord du Gange. Son objectif ? Ecrire un livre sur la condition d’un quart de la civilisation indienne, les sous-hommes, que les autres qualifient de sales, mangeurs de porc et buveurs d’alcool. Ce n’est pas la première fois qu’il tente un exercice de ce type, puisque quatre années auparavant, il avait déjà effectué l’exercice dans la peau d’un Chinois (Editions Bernard Barrault, 1988).

Il n’est pas non plus le premier à procéder à une métamorphose complète afin d’étudier une société de l’intérieur. Je peux citer, comme deux romans de notoriété certaine, Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas (Editions de l’Olivier, 2010) et, parmi les premiers du genre à ma connaissance, Dans la peau d’un noir de John Howard Griffin (Gallimard, 1976). L’exercice est donc classique et court le danger de juger une population avec un regard extérieur – but de l’opération, peut-être, mais biais sociologique.

Et de fait. La première moitié du livre m’a tellement fatiguée que j’ai été prête à abandonner. Le style journalistique est trop descriptif et l’autour utilise parfois des mots inappropriés. Marc Boulet décrit la dure vie des intouchables selon des critères essentiellement matériels (ils sont sales, ils dorment dans la crasse, ils se font battre par la police, ils mangent à peine…). Ce n’est pas inintéressant mais terriblement voyeur. Au bout de quelques nuits passées sur le parvis de la gare et quelques kilos en moins, sa manière de raconter bascule dans la complainte. Marc Boulet ne décrit plus les intouchables, il décrit ce que ressent un Français qui se travestit en Indien intouchable. Nuance ! C’est en accord avec le titre du livre, d’accord. Mais lorsqu’il évoque la dépression de Marc Boulet, l’ennui de Marc Boulet, l’envie d’alcool de Marc Boulet et les courtes pauses de Marc Boulet entre deux périodes de mendicité (avec douche, repas consistant et sieste au creux des doux bras de sa femme), il ne décrit plus la condition de vie d’un intouchable ; il décrit ce que peut ressentir un nanti qui sombre dans la déchéance. C’est toujours intéressant, mais toujours superficiel. Car la soumission à laquelle notre faux intouchable doit se plier devant l’autorité, les brahmanes ou les autres membres de castes de touchables, révulse en lui l’homme civilisé. Un intouchable de naissance a-t-il la capacité de réagir ? Toutes les études sur la servitude humaine et le maintien volontaire de certaines classes de la population dans des conditions de grande pauvreté le prouvent : les trop pauvres, même s’ils sont des millions, n’ont pas la force de se révolter. Ils ne sont pas dangereux.

J’ai donc failli lâcher le livre mais j’ai persévéré et j’ai bien fait. Petit à petit, le journaliste élève le débat. Il garde le ton de la révolte, mais ce n’est plus à sa propre condition qu’il la consacre mais à celle de son sujet d’étude, enfin. Il part des intouchables pour évoquer les droits de l’homme, mais surtout, et là ça devient passionnant, l’hindouisme, les humanistes de l’Inde (Gandhi et Ambedkar). Il évoque leurs incohérences, les aberrations d’un système modelé sur la sagesse qui traite un quart de sa population pire que des chiens écrasés, qui vénère les vaches et leur donne des déchets à manger, qui est végétarien mais qui laisse crever les poissons dans l’eau polluée des fleuves. Etc, etc, etc.

Un extrait intéressant :

En 1931, après sa première rencontre avec Ambedkar, Gandhi s’étonna qu’Ambedkar soit un enfant de Dieu [un intouchable, ndr] et non un brahmane ému par l’intouchabilité. Comme si les intouchables étaient incapables d’engendrer leur leader. En 1936, Ambedkar flirta avec le sikhisme en conseillant aux intouchables de se convertir à cette religion égalitaire. Gandhi, moqueur et inquiet que l’hindouisme perde vingt pour cent de ses fidèles, s’interrogea sur la question de savoir si les intouchables pouvaient distinguer les mérites entre les différentes religions « plus qu’une vache » (sic).

Un autre :

L’absence de droits de l’homme nait du castéisme et donc de l’hindouisme. Un système social d’hommes et de sous-hommes qui empoisonne l’Inde sous couverture de la religion, de Dieu. Les Occidentaux n’y voient que du feu. Ils combattent à juste titre le racisme et l’antisémitisme dans le monde, mais ils posent un regard indulgent sur le castéisme et considèrent qu’il appartient au patrimoine culturel indien, tel le Taj Mahal. […] Cette excuse culturelle du castéisme m’horripile. On pourrait pardonner de même l’antisémitisme en racontant que ça fait partie du patrimoine européen. On peut toujours tout justifier. Cela suffit !

Qu’en est-il des conditions de vie des intouchables, depuis la sortie du livre il y a vingt-cinq ans ? Le sujet a évidemment aiguisé ma curiosité. Hélas, rien n’a vraiment changé. Les castes restent une réalité de l’Inde contemporaine. D’après Wikipedia que je cite, la National Sample Survey Organisation atteste de la persistance des inégalités de castes dans l’Inde contemporaine. Les basses castes sont sur-représentées dans les catégories les plus pauvres. Dans les campagnes, elles représentent 83 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté alors qu’elles ne sont que 69 % de la population rurale totale. Le différentiel est encore plus grand en ville, où ces chiffres s’établissent à 67 et 48 % respectivement. Et le journaliste Marc Boulet insiste bien sur une des conséquences de ces inégalités : malgré les lois, la police indienne (les « chiens kakis ») peut tabasser à mort un intouchable sur simple accusation d’un membre d’une classe plus élevée. Les badauds qui se regroupent et se régalent du spectacle de rue n’interviennent jamais, de peur de subir le même sort. La soumission est de mise. Il est vraisemblable que la culture de castes ne disparaisse jamais. Pour que la violence institutionnelle disparaisse, en cela Marc Boulet est formel, il faudrait supprimer l’hindouisme. Tout simplement.

=> Quelques mots sur l’auteur Marc Boulet

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Ce pays qui te ressemble

Tobie NATHAN

Ce pays qui te ressemble

Editions Stock – 2015

 

Que de choses à dire, sur ce roman au goût d’Orient si prononcé ! A coup sûr, il est impossible d’y rester indifférent.

Tobie Nathan commence son roman comme un conte. En 1925, entre religion et superstition, les Juifs de la ruelle Haret el Yahoud, ghetto du Caire, survivent tant bien que mal. Le lecteur découvre la vie de la communauté, le pittoresque des relations familiales, les croyances et les superstitions proches de celles des Musulmans qu’ils côtoient depuis des siècles.

Les Juifs d’Egypte, ceux en costume de lin ou les traîne-savattes en galabeya, sortaient tous du même cloaque, ces quelques ruelles bourrées de synagogues et de tombeaux de saints, que l’on appelait la ‘hara, la ruelle.

Motti est aveugle ; pour gagner quelques pièces, il tient de mémoire la comptabilité des artisans du ghetto. Esther, sa femme, est possédée. Elle fait appel à une sorcière musulmane pour enfanter – seul manque à son bonheur. De ce rite démoniaque va naître Zohar, un enfant surprenant que le lecteur va suivre jusqu’en 1952.

Roman et Histoire mélangés, Zohar et ses compagnons reflètent le sort réservé aux Israélites en cette période si incertaine qu’ont été les années qui ont précédé le renversement du roi Farouk et l’établissement de Nasser au pouvoir. Zohar représente le Juif qui réussit, sommé de quitter le pays. Nino l’illuminé se convertit à l’Islam et se radicalise. Joe, Juif influent tant que l’Orient éblouissait le monde de son charme si unique, incarne la victime idéale.

La beauté de l’Orient est magnifiée par les autres personnages de l’histoire. Pour ne citer qu’elles, Jinane et Masreya, mère et sœur de lait de Zohar ou encore Khadouja la sorcière. Le style, conte aux saveurs poétiques subtiles, est un ensorcellement pour les sens.

C’est alors que la kudiya leva la main en direction des musiciens et que la voix de l’homme, un paysan sans âge en galabeya rayée, s’éleva à nouveau en imposant le silence.

« Aaaaa… Ô Nofal, ô Nofal, Ô Nofal… Ô Nofal, ô Nofal, ô Nofal… Ceux qui descendent sont heureux dans les profondeurs ; ceux qui montent s’épanouissent dans le ciel. Comme elle est belle, ses yeux noirs comme ceux du faon. J’ai vu la lune éclairer sa poitrine. Chaque maître de cérémonie possède sa propre vision. Aaaaah… Ô Nofal, ô Nofal, ô Nofal… »

Mais Ce pays qui te ressemble, c’est avant tout un cri d’alarme de Tobie Nathan. L’analogie entre les personnages du roman et l’auteur n’est pas à démontrer. Sa famille a dû fuir l’Egypte en 1957 suite à la révolution égyptienne et l’expulsion des Juifs. Il constate la cruauté des hommes et la dénonce.

Cette guerre ne finirait pas. Elle durerait toujours. Jusque-là les hommes ignoraient que la terre avait des propriétaires. Ils ont voulu s’emparer de ses entrailles. Ils ont déterré les momies, ont fait jaillir son sang noir. La terre ne leur pardonnera jamais. Cette guerre ne finira qu’avec le dernier des humains.

Il adresse une supplique aux divinités, toutes celles qui, dans l’Antiquité ou plus tard, ont bercé l’Egypte de croyances multiples.

Ô Dieu ! Ô Dieux ! Qui que vous soyez… Dieu des Juifs ou des Musulmans, des Coptes, des Grecs ou des Arméniens, dieux des Egyptiens, peut-être, si gracieux dans leurs fins dessins hiéroglyphes, Ô dieux ! N’avez-vous donc jamais pitié des hommes ?

Mais sa toute première prière, il l’adresse aux hommes d’aujourd’hui, finalement.

Frères égyptiens, je pense aux pyramides. On dit que nous, les Juifs, les avons bâties pour vous… Comme dans la formule des contes égyptiens, « cela fut, ou cela ne fut pas »… Ce ne sont pas des idoles, mais des rayons de soleil pétrifiés. Ne les abîmez pas. Je doute qu’il nous sera possible d’en construire de nouvelles.

C’est donc un récit très personnel qu’a écrit Tobie Nathan. Quelques longueurs m’ont ralentie dans la lecture : si la volupté des pages délibérément orientales m’a emportée, j’ai été moins sensible aux développements industrieux de l’histoire voire ennuyée par la répétition de certains élans amoureux de l’intrigue.

Le volet géopolitique en revanche, période pré-israélienne de l’histoire du Moyen-Orient, est passionnant et à découvrir absolument.

=> Quelques mots sur l’auteur Tobie Nathan

L’enfer de Church Street

l-enfer-de-church-streetJake HINKSON

Traduction Sophie ASLANIDES

L’enfer de Church Street

Editions Gallmeister – 2015

 

Dans l’Arkansas, un petit merdeux braque un gros bonhomme sur le parking d’un supermarché. Il joue de son revolver histoire de lui faire assez peur pour le détrousser sans se battre. Sauf que le gros bonhomme ne se laisse pas intimider. Il lui propose même un marché : son portefeuille contre une balade en voiture et une oreille attentive, quelques heures durant.

Dans les premières pages de L’enfer de Church Street, le ton est donné : langage désabusé, personnalités marginales, pauvres hères. Mais le rythme est lent. La confidence de Geoffrey Webb est celle d’un homme fatigué qui prend son temps et qui n’a plus rien à perdre. Au bout d’une soixantaine de pages, au moment où on ne s’y attend plus, le rythme change. L’action s’intensifie, difficile de refermer le bouquin.

Jake Hinkson, de son propre aveu, est fils d’un pasteur baptiste. S’il est fâché avec la religion, la religion est devenue un sujet d’étude pour lui. C’est ce qui m’a donné envie de lire le roman.

D’après Wikipédia, la religion baptiste peut être définie par ces mots : « ce mouvement se caractérise par l’importance donnée à la Bible, à la nouvelle naissance, au baptême adulte en tant que témoignage volontaire, un esprit missionnaire, un engagement moral de vie ». Ajoutez-y, du point de vue de Hinkson, un brin de rigorisme, une bonne lampée de bigoterie arrosée d’intolérance et vous obtiendrez l’ambiance de la communauté protestante de Little Rock, ville de l’Arkansas où se joue l’essentiel de l’intrigue.

L’enfer de Church Street est un roman noir plutôt qu’un polar. La structuration de l’intrigue, intéressante, permet au héros de se raconter à son propre rythme et à l’auteur de créer des page turner sympathiques. Je n’aime pas les artifices des polars, en général, mais l’organisation du récit efface l’astuce littéraire : ce n’est pas le lecteur qui est bluffé par le récit, c’est le confident de Geoffrey Webb.

Je suis ravie d’avoir découvert l’auteur et son premier roman couronné par le Prix Mystère de la critique 2016. Très agréable parenthèse entre deux lectures plus sérieuses. Son deuxième roman, L’homme posthume, est paru en 2016.

=> Quelques mots sur l’auteur Jake Hinkson

L’enfant dans la Tamise

L-enfant-dans-la-Tamise-984358-d117Richard HOSKINS

L’enfant dans la Tamise

Belfond, 2015

 

Cœurs sensibles, ne vous abstenez pas de lire L’enfant dans la Tamise, ce serait trop dommage de vous priver de ce livre magnifique. Mais sachez à quoi vous vous exposerez. Ce documentaire vous précipitera dans les horreurs de meurtres rituels d’enfants au cœur du Londres d’aujourd’hui. Ce n’est pas sans nausées que j’ai lu ce livre douloureux.

Richard Hoskins est professeur. Il enseignait les religions africaines à l’université de Bath, en 2002, lorsqu’il a été contacté pour la première fois par Scotland Yard pour aider la police à élucider un meurtre atroce, celui d’un enfant retrouvé dans la Tamise, sans tête et démembré. Un torse. Ce jour-là, la vie du tranquille universitaire bascule. D’enseignant, il devient expert en criminologie spécialisé dans les actes de torture et les assassinats perpétrés sur des enfants au nom de religions africaines. Hélas, la Grande Bretagne a besoin de tels experts.

La plume de l’auteur est tellement fluide qu’à de nombreuses reprises, je me suis surprise, moi qui en général n’aime pas les polars, à croire que j’en avais un entre les mains, et un bon, en plus. Quelle ironie… Et lorsque l’horreur des évènements, la profusion des détails légistes et la narration bibliographique m’ont ramenée à la triste réalité, loin d’interrompre ma lecture pour respirer comme j’aurais pu si le livre avait été trop académique, je n’ai eu de cesse de la poursuivre pour voir les salauds arrêtés et les enfants sauvés.

Ouf…

Richard Hoskins témoigne dans ce documentaire avec un courage exemplaire. Dans l’objectif de dénoncer la radicalisation des églises chrétiennes en Afrique de l’Ouest et la perversion de leurs branches européennes, il s’oppose à des sectes richissimes. La médiatisation des affaires criminelles, à laquelle il a pris une large part, devrait certes ouvrir les yeux des immigrés en provenance d’Afrique sur les dérives de leurs gourous, mais le risque d’amalgame est grand. Il ne se prive pas de le dire, d’ailleurs, lors des différents procès où il témoigne, afin que les jurés ne tombent pas dans le piège.

Amalgame ? Ne pas confondre les religions et leur radicalisation. Les évènements relatés dans L’enfant dans la Tamise se passent à Londres et aujourd’hui. Des actes perpétrés au nom de rituels religieux, mais qui n’ont plus rien de religieux. La chrétienne Afrique de l’Ouest, si chère au cœur de Richard Hoskins, ne doit pas souffrir de la barbarie menée par des mouvements extrémistes. Un message facile à transposer à d’autres amalgames, en ces périodes incertaines, n’est-ce pas ?

J’ai lu L’enfant dans la Tamise dans le cadre du Grand prix des lectrices ELLE 2016 et remercie profondément les organisateurs du prix de m’avoir permis de découvrir ce documentaire bouleversant.

=> Quelques mots sur l’auteur Richard Hoskins

2084 – La fin du monde

2084Boualem SANSAL

2084 – La fin du monde

Gallimard – 2015

 

Boualem SANSAL prévient le lecteur en guise d’introduction, toute ressemblance à des personnages ou des religions ayant existé serait purement fortuite.
Le lecteur est averti, il lira une fiction, une vraie.

Il est pourtant de ces périodes calendaires où le hasard des publications paraît ne pas exister. Aurais-je acheté 2084 sans les attentats meurtriers de Paris du 13 novembre 2015 ? Je ne le saurai jamais, mais une chose est sûre : la présence médiatique de Boualem Sansal sur les plateaux télévisés au cours de ces dernières semaines a attiré mon attention. Son roman m’a intriguée. Besoin de comprendre l’incompréhensible. J’ai acheté 2084 et je l’ai lu dans la foulée.

Ati est un homme de 35 ans environ. Il vit dans un pays imaginaire, entre montagnes et désert, au-delà de l’année 2084 qui marque l’avènement d’Abistan, immense empire qui tire son nom du prophète Abi, « délégué » du Dieu Yölah sur terre. Les Abistanais vivent dans un système répressif basé sur l’amnésie et la soumission totale au dieu unique. Ati guérit miraculeusement de la tuberculose, dans un sanatorium construit quelque part dans les montagnes, loin de la capitale de l’Abistan, Qodsabad. Au cours de sa longue convalescence, il prend conscience de certaines choses qui ne tournent pas rond dans le système dans lequel il vit. Les mots lui manquent pour mieux définir ses impressions, car le vocabulaire de l’abilang, seule langue autorisée en Abistan, est pauvre et religieux. Une des astuces du contrôle de la pensée est d’empêcher son développement.

Boualem Sansal imagine dans 2084 ce que pourrait donner un système totalitaire basé sur la soumission à un dieu unique. Il aborde de nombreux aspects de la question : appauvrissement du langage, endoctrinement dès l’enfance, police de la pensée, guerres saintes… Chaque maillon contribue à abrutir les individus et à renforcer le pouvoir des dirigeants. Les habitants n’ont plus de libre arbitre. Ceux qui seraient tentés à s’interroger sont rapidement démasqués et exécutés en public, au stade. Les voyages sont interdits, l’école développe des fanatiques prêts à « mourir pour être heureux ». Les prières rythment chaque instant de la vie des citoyens.

Rien n’est laissé au hasard. Il existe des ghettos entourés de hauts murs, derrière lesquels une population dénuée de tout survit dans un certain esprit de liberté. Tout en les diabolisant, le système se garde bien de les détruire. Dieu a besoin du Diable pour être fort.

Boualem Sansal réunit dans 2084 les conditions nécessaires à l’avènement et la puissance d’un tel régime. Il alerte sur les faiblesses de l’homme inféodé, prêt à croire aux prêches absurdes dès lors qu’il a perdu la capacité de penser par lui-même. Il décrit aussi les failles du système ; le pourrissement ne peut venir que de l’intérieur.

Vous l’aurez compris, 2084 est un vibrant refus de tout endoctrinement. S’il pose son roman dans un décor qui fait penser au Moyen-Orient et un système qui ressemble à ce que pourrait devenir l’Etat Islamique, Boualem Sansal le construit dans la suite de 1984 de Georges Orwell. Or le monde de Big Brother n’est pas basé sur des préceptes religieux. Le dieu de 2084 n’est qu’un outil de manipulation des âmes, vidé de toute sa substance mystique.

Lire 2084, c’est garder sa conscience en éveil et refuser l’impensable.

=> Quelques mots sur l’auteur Boualem SANSAL

Le parfum du yad

le parfum du yadPhilippe FAUCHE

Le parfum du yad

Il était un bouquin – 2015 – 122 pages

Le parfum du yad est le premier roman de Philippe FAUCHE, écrivain prometteur, lauréat en 2012 du prestigieux prix Agostini de Quais du Polar en 2012. Ne cherchez pas de photo de lui sur internet, il cultive le goût du mystère jusqu’à cacher son masque de chat derrière de grosses lunettes noires.

Le parfum du yad, c’est un plongeon dans le New York des années 1950, dans l’ombre de Schlomo Silberstein, détective privé qui prend un faux nom pour pouvoir trouver du travail. C’est la découverte des quartiers juifs, la lente reconstruction en temps de paix, un univers où la mafia et police travaillent de mèche. Philippe FAUCHE n’était pas encore né dans ces années-là, pourtant, garanti, son écriture est tellement imagée qu’on pourrait le croire raconter son passé : « Personnellement, j’ai toujours préféré les « bus-café » et les petits restaus italiens de Mulberry Street, avec leurs tables minuscules et leurs serviettes à carreaux, là où le patron vient discuter le bout de gras entre deux plats. »

Et le style, donc ? Grinçant, cynique, une pointe d’humour à chaque fin de phrase. Philippe FAUCHE est un véritable conteur. De ceux qui donnent de la lumière à leur texte, une troisième dimension toute en couleurs : « Sans pratiquement le regarder, Schultz lève à nouveau le cul de sa chaise et lui en balance une autre, cette fois de la gauche, histoire de ne pas faire de jaloux. Puis il se lève, ramasse lui-même binocles et galurin et va s’asseoir à côté du gars tétanisé dont la gueule commence à ressembler à une aubergine. »

Vous l’avez compris, ce polar est un régal. Un seul regret, peut-être : il est trop court…

=> Quelques mots sur l’auteur Philippe FAUCHE

=> Autre avis sur Le parfum du yad : Leeloo s’enlivre