Fernand – Un arc-en-ciel sous la lune

FernandMartial VICTORAIN

Fernand – Un arc-en-ciel sous la lune

L’Astre Bleu Editions – 2013

 

Fernand, soixante-seize ans, ferme définitivement la porte de sa maison pour s’installer au Perce-Neige, une maison de retraite en Lozère. C’est la solitude qui le pousse à cette décision. L’accueil qui lui est réservé et l’interrogatoire médical qu’il subit le surprennent un peu. Il faut dire que Fernand est bien portant, n’a jamais pris un médicament de sa vie et n’a pas l’intention de commencer. Par ailleurs, il possède un don pour déjouer les maladies, ce qui n’est pas au goût de tout le monde, à la maison de retraite.

Couronné par le prix Claude Favre de Vaugelas 2016, Fernand est un livre d’une belle portée sociale. La question de l’accompagnement des personnes âgées y est clairement posée. Les familles assurent-elles leur part de responsabilité ? Le personnel soignant ne serait-il pas trop prompt à gaver les vieux de traitements chimiques ? Martial Victorain dénonce avec virulence le commerce de la vieillesse, manne financière s’il en est. Il rappelle et hélas il semble nécessaire de le faire, que la première maladie des vieux est le désespoir et l’abandon, mieux guéris avec un peu d’attention et d’amour qu’avec tous les cachets au monde.

Ce livre d’une grande fraîcheur où chaque petit vieux est doté d’un surnom charmant est à recommander à tous les soignants. Et d’une manière générale, aux humains qui ont encore la chance d’avoir en vie des parents âgés à entourer.

=> Quelques mots sur l’auteur Martial Victorain

Orgueil et préjugés

Orgueil et préjugésJane Austen

Orgueil et préjugés

Christian Bourgeois Editeur, 1979

 

Ecrire une critique d’Orgueil et préjugés est pour moi un exercice particulièrement difficile. Car enfin, qui suis-je, pour me permettre de commenter cette œuvre monumentale, évoquée et analysée par de grands spécialistes, tels Virginia Wolf, Walter Scott ou encore Vladimir Nabokov qui consacre même à Austen un cours de littérature ?

Je m’étais promis, il y a quelques mois, d’écrire une chronique sur les six grandes œuvres de Jane Austen. Celle-ci est la deuxième après Raison et sentiments. Je vais essayer de glorifier la romancière et les amours d’Elizabeth et Darcy d’une façon un peu originale. Comme nous vivons à une époque gestionnaire, malgré mon aversion pour les bilans quantitatifs, je vais utiliser cet outil. Ne hurlez pas, vous verrez, il est plutôt bien adapté ici. En effet, en navigant sur la toile, je suis tombée sur l’impressionnante documentation collectée par Alice, une blogueuse qui a créé un site internet dédié exclusivement à Jane Austen http://www.janeausten.fr/. Dans sa page consacrée à Orgueil et préjugés, elle a recensé les données suivantes :

  • Nombre d’adaptations télévisuelles et cinématographiques du roman : 9 (entre 1938 et 2005)
  • Nombre d’adaptations inspirées du roman : 9 (dont 2 à venir)
  • Nombre de livres faisant référence à Orgueil et préjugés:  285 (dont 28 traduits en français)
  • Nombre de livres librement adaptés du roman : 62 (dont 4 traductions françaises)

Impressionnant, n’est-ce pas ? J’ai envie de rajouter mes propres indicateurs (mièvres mais je les assume) aux précédents : j’ai lu Orgueil et préjugés au moins trente fois ; j’ai acheté le roman en sept exemplaires au moins, car lorsque je le prête, je ne supporte pas d’en être dépossédée et je le rachète.

Cette histoire n’a pas fini de faire couler de l’encre. C’est dire si Austen a su subjuguer ses lecteurs par la finesse dans son histoire et la beauté dans son style.

Christine Jordis, spécialiste de littérature anglaise et ancienne directrice de la fiction anglaise chez Gallimard, soutient le fait que l’auteur a choisi d’écrire sur son époque et son milieu social ; enfermée dans ce cadre rigide, elle a recherché la liberté à l’intérieur de ces contraintes. Orgueil et préjugés n’est donc pas, à la base, une histoire romantique. Ce sont les lectrices contemporaines qui l’ont positionné au sommet de cette catégorie, au détriment des lecteurs masculins, d’ailleurs, ce qui est bien dommage.

Un petit extrait.

Elizabeth Bennet est contrainte de séjourner à Netherfield auprès de la famille Bingley et de Monsieur Darcy, pour soigner sa sœur Jane, malade et dans l’incapacité de quitter la chambre pour rentrer chez elle. Miss Bingley, amoureuse de Darcy, sent l’ascendant d’Elizabeth sur le jeune homme et cherche à détourner son attention de sa rivale.

Miss Bingley […] se mit à se promener à travers le salon. Elle avait une silhouette élégante et marchait avec grâce, mais Darcy dont elle cherchait à attirer l’attention restait inexorablement plongé dans son livre. En désespoir de cause elle voulut tenter un nouvel effort et, se tournant vers Elizabeth :

– Miss Eliza Bennet, dit-elle, suivez donc mon exemple et venez faire le tour du salon. Cet exercice est un délassement, je vous assure, quand on est resté si longtemps immobile.

Elizabeth, bien que surprise, consentit, et le but secret de miss Bingley fut atteint : Mr. Darcy leva les yeux. Cette sollicitude nouvelle de miss Bingley à l’égard d’Elizabeth le surprenait autant que celle-ci, et, machinalement, il ferma son livre. Il fut aussitôt prié de se joindre à la promenade, mais il déclina l’invitation : il ne voyait, dit-il, que deux motifs pour les avoir décidées à faire les cent pas ensemble et, dans un cas comme dans l’autre, jugeait inopportun de se joindre à elles. Que signifiaient ces paroles ? Miss Bingley mourrait d’envie de le savoir, et demanda à Elizabeth si elle comprenait.

– Pas du tout, répondit-elle. Mais soyez sûre qu’il y a là-dessous une méchanceté à notre adresse. Le meilleur moyen de désappointer Mr. Darcy est donc de ne rien lui demander.

Mais désappointer Mr. Darcy était pour miss Bingley une chose impossible et elle insista pour avoir une explication.

– Rien n’empêche que je vous la donne, dit-il, dès qu’elle lui permit de placer une parole ; vous avez choisi ce passe-temps soit parce que vous avez des confidences à échanger, soit pour nous faire admirer l’élégance de votre démarche. Dans le premier cas, je serais de trop entre vous et, dans le second, je suis mieux placé pour vous contempler, assis au coin du feu.

=> Quelques mots sur l’auteur Jane Austen

La vérité sur Lorin Jones

La vérité sur Lorin JonesAlison Lurie

La vérité sur Lorin Jones

Rivages, 1989

 

Polly Alter, 39 ans, reçoit une bourse du musée où elle travaille pour écrire une biographie sur une peintre décédée vingt ans plus tôt, Lorin Jones. Fragilisée par son divorce récent, elle ne peut s’empêcher une vive sympathie pour cette femme dont elle a l’impression d’avoir emboîté le pas : née dans la même ville, peintre elle-même, passionnée par le génie de son modèle, il y va jusqu’à leur surnom qui ne différait dans leur enfance que par une seule lettre : Polly / Lolly.

Afin de se libérer du temps pour enquêter et écrire, Polly envoie son fils adolescent quatre mois chez son père. Elle invite en parallèle sa meilleure amie Jeanne à venir s’installer chez elle. Jeanne, lesbienne et féministe, a une vision bien arrêtée sur la destinée tragique de Lorin Jones : si la peintre n’a pas eu de son vivant le succès qu’elle méritait, c’est que les hommes influant de son milieu étaient bien décidés à lui mettre des bâtons dans les roues. A commencer par Garett Jones, critique d’art et premier mari de Lorin. Ou Jacky Herbert, le galeriste. Mais est-ce si sûr ? Polly Alter est décidée à interviewer toutes les personnes encore vivantes qui ont connu Lorin, afin de découvrir et d’écrire la vérité sur Lorin Jones.

Sur fond de féminisme, Alison Lurie critique le milieu de l’art new-yorkais des deux époques où se joue l’intrigue : les années 1960 et les années 1980. Le lecteur est propulsé du monde féminin de Polly dans le monde masculin de Lorin avec le même bonheur. Plus l’enquête de Polly avance, plus ses idées s’embrouillent. Chaque protagoniste a sa propre vérité sur Lorin Jones. Famille, critiques, collectionneurs, l’intérêt de chacun diffère quant au contenu de la biographie à écrire. Entre manipulation et passion, quelle sera la version la plus crédible aux yeux de Polly ?

Ce thriller psychologique est un fascinant témoignage du monde artistique de New-York de la deuxième moitié du XX° siècle. L’auteur dénonce avec beaucoup de subtilité le machisme de ce milieu, dans lequel sans les hommes, les femmes ne peuvent pas percer. En parallèle, elle dresse un tableau particulièrement cynique des milieux féministes. Le lecteur ne peut pas s’empêcher de grincer des dents et de s’interroger : finalement, est-ce si certain que l’homme est le plus grand des manipulateurs ? Le sexe des individus y est-il pour quelque chose ?

La vérité sur Lorin Jones fait partie des romans dont la justesse psychologique traverseront toujours les époques, sans jamais vieillir. Il a reçu le Prix Femina 1989.

=> Quelques mots sur l’auteur Alison Lurie

Les derniers jours de nos pères

Les derniers jours de nos pèresJoël Dicker

Les derniers jours de nos pères

Editions De Fallois, 2012

 

Connaissez-vous le SOE, les services secrets britanniques pendant la Deuxième guerre mondiale ? Je ne connaissais pas, jusqu’à la lecture des Derniers jours de nos pères. Le SOE recrutait et formait des agents secrets pour les envoyer dans les pays en guerre. Souvent natifs de ces pays, ils parlaient parfaitement la langue, se coulaient aisément dans la population par totale maîtrise des coutumes et de la culture locale. Une partie de la résistance française est passée par les centres de formation du SOE, parallèles aux organisations de la Résistance conduites par le Général de Gaulle.

Dans son premier roman, Joël Dicker, aujourd’hui écrivain de grand renom grâce à La vérité sur l’affaire Harry Québert couronné de nombreux prix, raconte sous une forme presque documentaire l’aventure du SOE, à travers l’histoire d’une quinzaine de recrues de la section F consacrée aux missions françaises. En Grande Bretagne, Pal, Claude, Gros, Laura et les autres subissent quatre mois de formation impitoyable dans des centres spécialisés avant d’être envoyés en mission. Sabotage, contre-espionnage, propagande noire, ils sont affectés selon leur spécialité aux différents métiers des services secrets, aux quatre coins de la France.

Fiction ou documentaire ? Les deux et aucun. J’ai été très intéressée par ce roman qui m’a beaucoup appris sur l’organisation et la structuration des services secrets et de la résistance. Je suis pourtant restée sur ma faim : le sujet est abordé de manière assez générale, avec peu de détails sur les difficultés concrètes du terrain, probablement pour laisser de la place à la romance. Quant aux héros, Joël Dicker s’est attaché à décrire leurs états d’âme avec beaucoup de finesse. C’est le moral qui permet aux agents secrets de tenir le coup dans la clandestinité. Constamment recherchés par la Gestapo, ils ne peuvent déjouer les pièges qu’en maîtrisant leur peur. Pourtant, les caractères sont brossés de manière trop grossière. Certains évènements sont tirés par les cheveux, comme si l’auteur avait voulu introduire du piment dans son histoire, sans réussir vraiment à rendre ces épisodes crédibles.

Les derniers jours de nos pères pose une question essentielle et c’est en cela que le livre est fort. De quelle étoffe est fait un héros ? Au nom de la patrie, est-il héroïque de laisser son propre père mourir de désespoir ? La guerre est destructrice, sans aucun doute. Au retour de la paix, les jeunes patriotes seront canonisés par l’Europe entière. Mais leurs fantômes, ces vies qu’ils auront brisées pour sauver le monde de la servitude, ne les lâcheront jamais. Quelle facette de ces résistants est la plus héroïque ? Celle de l’homme ou celle du soldat ?

=> Quelques mots sur l’auteur Joël DICKER

Les retrouvailles

Les retrouvaillesApolline Thiéry

Les retrouvailles

ELP Editeur – 2014

 

Incroyable mais vrai, l’auteur de ce roman plein d’émotion est une lycéenne. Combien de lycéens connaissez-vous, capables d’écrire un livre de 120 pages ?

Sarah est une jeune femme de 30 ans. Son père Jacques de Risbourg se meurt. Il choisit ce moment pour avouer à sa fille le secret de famille qu’elle porte sur ses épaules sans le savoir, depuis sa naissance. Un secret lié à l’histoire de sa mère Clara, mère absente qui se suicide quand l’enfant est adolescente. Sarah s’est construite convaincue de ne jamais avoir été aimée. Dans le témoignage de Jacques, elle va brutalement apprendre qu’il n’est pas son père biologique. Heureusement, dans le même document il lui fournira la preuve de l’immense amour de sa mère pour elle, que son triste passé empêche d’exprimer.

Apolline Thiéry, avec une grande maturité, raconte la terrible histoire de Clara Schiller. Son présent, ses amours perdues, son enfance. Allemande, elle déménage en France à sa majorité. Tout comme Pauline Dubuisson, la meurtrière de 1961 qui a fait couler tant d’encre (tout récemment encore, Jean-Luc Seigle et Philippe Jaenada ont publié chacun un livre sur cette femme), Clara Schiller passe d’un homme à l’autre, incapable de s’attacher. Pourquoi ? Apolline Thiéry nous l’apprendra dans ce roman. Au fil des pages, le lecteur finira par aimer Clara, cette femme qui ne s’aime pas elle-même. Le premier secret de famille, c’est elle qui en subit les conséquences. Elle n’y survivra pas.

Comment un auteur aussi jeune a-t-il su évoquer des thèmes aussi forts avec des mots aussi simples ? Bien sûr, l’écriture est encore maladroite. Trop de clichés ont gêné ma lecture. Certains chapitres mériteraient d’être retravaillés dans un style plus mature. Il n’en reste pas moins que j’ai ressenti de l’empathie pour le personnage de Clara. Que l’émotion passe. Apolline Thiéry a tout d’un auteur en devenir.

=> Quelques mots sur l’auteur Apolline THIERY

Les intéressants

Les intéressantsMeg WOLITZER

Les intéressants

Éditions rue fromentin, 2015

 

Voilà un roman qui me laisse bien perplexe. Je suis partagée entre deux sentiments : celui de ne pas y avoir trouvé d’intérêt et celui d’être convaincue que je ne l’oublierai pas facilement. Quel paradoxe !

Les intéressants raconte l’adolescence et la maturité de six américains de New-York entre 1977 et aujourd’hui. Ash, Cathy, Jules, Ethan, Goodman et Jonah se rencontrent dans un camp de vacances découvreur de talents, Spirits-in-the-woods. Ils y forment un club, le club des intéressants justement. Seuls les aléas de la vie arriveront à les séparer au cours des décennies qui suivront.

Meg Wolitzer décrit les succès, les échecs et les combats intérieurs de ses héros, à travers le regard de trois d’entre eux, Ash, Ethan et Jules. Ash et Ethan symbolisent la réussite professionnelle, sociale et financière. Jules, observatrice des succès de ses amis, un brin jalouse, a une vie beaucoup plus standard. Seule la générosité de ses amis lui permettra de rester habiter dans New York, contrairement à de milliers de banlieusards.

Tout au long des 564 pages que dure ce récit, le lecteur va être témoin des joies, drames et échecs des différents personnages. De nombreux sujets de société sont abordés : l’adolescence, la sexualité, les liens de famille, la maladie, l’abus d’autrui. Des sentiments comme le doute, la douleur, la générosité, la jalousie. Ce livre est un hymne à l’introspection, à l’amitié et à l’amour.

L’histoire ne manque pas d’intérêt. Je me suis surprise à comparer le livre à un film de Woody Allen des années 1975-1980. Et c’est peut-être par là qu’il pêche : il est tellement psychanalytique, tellement new-yorkais qu’il pourrait passer pour synopsis d’un film du grand cinéaste américain. Seulement un film se visionne en deux heures, tandis qu’un roman d’une telle longueur se lit en plusieurs jours.

Pour résumer, Les intéressants est un bon livre psychanalytique, mais sa longueur lui fait perdre de sa force.

=> Quelques mots sur l’auteur Meg WOLITZER

Raison et sentiments

raison et sentimentsJane Austen

Raison et sentiments

Editions 10/18 – 374 pages

 

J’ai lu tellement de critiques de livres de Jane Austen ces derniers temps que j’ai décidé d’écrire les miennes. Je commence par Raison et sentiments, qui se trouve être le premier livre qu’elle a écrit, en 1795. Repris et corrigé plusieurs fois, il a dû attendre 1811 pour être publié. Jane Austen ayant voulu garder l’anonymat, Sense and Sensibility est paru écrit par A Lady.

Raison et sentiments raconte l’histoire de Mrs. Dashwood et de ses trois filles, Elinor, Marianne et Margaret. A la mort de Mr. Dashwood, le fils aîné de celui-ci né d’un premier mariage hérite de la maison et de la fortune paternelles. Il promet au mourant d’aider financièrement ses sœurs et sa belle-mère, mais influencé par son épouse, il n’en fera rien et les quatre femmes soudain appauvries se retrouvent dans l’obligation d’accepter la location de Barton Cottage dans le Devonshire, généreusement proposé par un cousin de Mrs. Dashwood.

La vie campagnarde s’écoule lentement à Barton, entre les rencontres quotidiennes avec Mr. et Mrs. Middleton, le colonel Brandon, Mrs. Jennings ou encore les Palmer ou Anne et Lucy Steele. Marianne s’éprend de Willoughby, un jeune homme venu séjourner chez sa tante dans les environs. Passionnée dans tous ses rapports avec autrui, elle ne cache pas ses sentiments, au contraire d’Elinor, beaucoup plus réservée, qui garde pour elle les tendres pensées que lui suggère Edward Ferrars, le frère aîné de sa désagréable belle-sœur.

L’intrigue de Raison et sentiments se développe autour des différences de conduite entre les deux sœurs. Dans la joie comme dans les peines, l’aînée va témoigner d’une grande maîtrise d’elle-même dans le souci constant de ne pas inquiéter son entourage, tandis que la cadette, sans aucune retenue, étale ses sentiments jusqu’à afficher un mépris offensant à l’égard de ceux dont elle estime que le commerce est une pure perte de temps.

Jane Austen peaufine ses personnages jusqu’au plus petit détail. Aucun n’y échappe, pas même les personnages secondaires. Elle prouve dans Raison et sentiments sa capacité à restituer finement les caractères. Elle y prépare le lecteur au ton cynique qu’elle adoptera dans ses autres romans lorsqu’elle évoquera des attitudes mesquines, égoïstes ou encore naïves ou simplement stupides.

Il en est ainsi de cet extrait, dans lequel la taille de deux jeunes garçons est comparée par des femmes aux intérêts bien différents :

« Chacune des deux mères, quoique réellement convaincue, en son for intérieur, que son fils était le plus grand, se décida poliment en faveur de l’autre.

Les deux grand-mères, avec non moins de partialité, mais plus de sincérité, furent également empressées à soutenir la cause de leur propre descendant.

Lucy, qui désirait autant plaire aux parents de l’un que de l’autre, exprima cette idée que les deux enfants étaient remarquablement grands pour leur âge et qu’elle ne pouvait concevoir qu’il y eut entre eux la plus petite différence. Et Miss Steele, avec encore plus d’adresse, donna son suffrage, aussi énergiquement que possible, successivement en faveur de l’un et de l’autre.

Elinor, ayant une fois exprimé son opinion en faveur de William, en quoi elle choqua Mrs. Ferrars et encore plus Fanny, ne vit pas la nécessité de la renforcer en la répétant ; et Marianne, lorsqu’on lui demanda la sienne, les choqua tous en déclarant qu’elle n’avait pas d’avis à donner, parce qu’elle ne s’était jamais avisée d’y penser. »

Raison et sentiments n’est pas le meilleur livre de Jane Austen. Mais à l’instar du film d’Ang Lee (1996) avec Emma Thompson, Kate Winslet et Hugh Grant ou encore le téléfilm de John Alexander (2007) avec Charity Wakefield et Hattie Morahan, c’est un livre d’une grande fraîcheur dont la lecture est un pur plaisir.

=> Quelques mots sur l’auteur Jane AUSTEN