Rouge Tandem
L’Astre Bleu Editions – 2019
Les deux mots qui composent le titre du roman de Ln Caillet résument bien l’intrigue. Rouge, une jeune femme cabossée par la vie, refuse d’affronter la réalité et d’apprendre la cause de la disparition de ses parents. Elevée par Rose et Georges, ses grands-parents paternels, elle a toujours connu le tandem qui rouille au fond de leur garage. Un tandem qui a vécu bien des aventures. Le jour où Rose décide d’opérer le grand nettoyage de sa maison et de ces petits riens qui se sont accumulés au cours de sa longue vie, Rouge ressort le vélo pour raviver les souvenirs de l’aïeule. Elle essaie ainsi de maintenir la vieille femme en vie, sans se rendre compte de l’impact de cette démarche sur ses propres fragilités.
Ce roman est un petit écrin d’amour, à décliner à tous les temps de l’indicatif et de l’imaginaire. Le tandem, au centre du récit, permet à Ln Caillet de remonter le temps, d’aborder la montée du féminisme avant la Deuxième Guerre mondiale, de traîner sur les routes de France et des congés payés, d’évoquer la Résistance ou de frissonner selon les codes du polar. Il rapproche aussi la pétillante grand-mère de sa petite fille, cicatrise les plaies à vif, autorise enfin au lâcher-prise longtemps contenu. Voici donc un étonnant récit qui mélange les genres. Recueil de nouvelles, roman d’amour et roman à intrigue, passé et présent imbriqués, ce récit est cacophonique d’après Rose, ou plutôt polyphonique, comme la reprend Rouge. Car, comme Ln Caillet l’explique par la bouche de son héroïne, « pourquoi une œuvre littéraire devrait-elle forcément correspondre à un genre, une norme, entrer dans une classification ? Pourquoi une histoire doit-elle forcément être cataloguée pour avoir le droit d’exister ? »
Je découvre l’univers d’écriture de Ln Caillet, mais la romancière en est à son huitième livre avec Rouge Tandem. Si j’ai regretté quelques manques de profondeur dans l’évocation de certains sujets, l’écriture, elle, souvent métaphorique, prouve une certaine maîtrise stylistique.
La vieille dame but une délicate gorgée de thé, reposa sa tasse, mais garda les mains serrées autour. Ses doigts étaient déformés par l’usure et, sur sa peau parcheminée, des veines dessinaient d’innombrables chemins, une carte topographique palpitante.
L’autrice se lance aussi, par moments, dans des formes d’écriture poétique que seuls l’amour inconditionnel et les recettes de cuisine permettent. Savez-vous seulement préparer les gâteaux de foies de volaille ?
Des foies, le fiel tu prélèveras, sinon amer tu seras
Rose en tunique bleu turquoise parsemée de petits canards blancs
Crème fraîche entière et pas à moitié
Une petite tâche sur le canard blanc, un œil de sang
Rien ne vaut les hachoirs manuels d’antan
En refermant ce joli roman plein de charme, je n’ai eu qu’une seule envie : tendre la main à Rouge et l’aider, sans béquilles ni fausses excuses, à troquer enfin la grisaille de son spleen pour les couleurs vives des tenues vestimentaires de son aïeule. Lorsque l’on a choisi de s’appeler Rouge, ne doit-on pas inonder son prénom de lumière ?
=> Quelques mots sur l’autrice Ln Caillet