Abigaël

Magda Szabo

Traductrice : Chantal Philippe

Abigaël

Editions Viviane Hamy – 2017

 

Lorsque j’ai appris la parution française d’Abigaël, j’ai été plus émue qu’à la lecture de n’importe quel autre roman, aussi bon soit-il. Cet ouvrage de Magda Szabo a en effet été une de mes références marquantes de l’adolescence, lue et relue en langue originale. Je me le suis procuré le mois dernier dans ma librairie préférée et j’ai pratiqué un exercice étrange, pour la première fois de ma vie : je l’ai repris en hongrois, puis dans la foulée je l’ai lu en français. Je voulais savoir si l’émotion que je ressentais était aussi forte dans les mots de l’auteure que dans leur traduction.

Magda Szabo écrit dans un style d’une grande richesse. Son roman La porte (Viviane Hamy, 2003), couronné du Prix Femina étranger 2003, est une véritable prouesse stylistique. Ma connaissance de ma langue maternelle n’a pas suffi pour que je puisse le lire en hongrois du vivant de l’auteure, hélas. Heureusement, Abigaël, tout aussi dense, se lit plus facilement. Roman initiatique par excellence, ses personnages sont si attachants que la lecture du roman en est grandement facilitée, malgré les qualités narratrices hors pair de Magda Szabo. Un lycéen féru de lecture peut s’y attaquer sans problème, tant le sujet est passionnant et l’intrigue captivante.

Abigaël est le nom d’une statue du jardin d’un lycée protestant rigoriste, au fin fond de la Hongrie. Une légende entoure la sculpture : elle allègerait les maux des lycéennes lorsqu’elles sont incapables de supporter les conditions de travail et d’éducation qui leur sont imposées dans cet établissement élitiste. En 1943, Gina, adolescente de quatorze ans, se voit obligée d’y poursuivre sa scolarité loin de son père militaire, loin de Budapest, sans comprendre la raison de son expédition dans ce monde auquel il lui est impossible de s’adapter. Il le lui faudra, pourtant, car c’est ainsi que son père en a décidé.

Ce roman a plusieurs niveaux de lecture. Tout un modèle éducatif y est évoqué, avec moult détails, comme dans un documentaire. Les méthodes d’enseignement ont un tel décalage avec celles d’aujourd’hui, la religion en particulier y tient une place tellement centrale qu’on pourrait se croire dans l’évocation d’un monde imaginaire. L’héroïne principale de l’histoire, l’adolescente rebelle à laquelle le lecteur s’attache avec une force terrible, est d’une perspicacité hors norme, limitée par son âge et sa crédulité. Magda Szabo a su trouver les mots pour la différencier des autres jeunes lycéennes mais aussi des enseignants et des diaconesses. C’est clairement une des forces du roman : avoir su faire progresser l’histoire pas à pas en maintenant chacun des personnages à son niveau de compréhension des évènements qui les implique, renversant parfois la hiérarchie des rôles que leur impose leur statut dans l’établissement. Les ambiguïtés qui découlent de secrets et des fausses certitudes de chaque personnage sont absolument délicieuses et donnent envie de ne pas terminer l’histoire, de ne pas se séparer de ses acteurs. Heureusement, Magda Szabo ponctue le roman de flashs de la vie d’une Gina adulte, assagie et heureuse, qui rassurent : le lecteur termine le roman avec l’assurance de ne pas l’avoir perdue tout à fait ; elle continue à vivre dans son imaginaire.

Alors, version originale ou traduction ? Il est évident que cette question a peu de sens, pour l’essentiel des lecteurs qui n’ont pas la chance de maîtriser parfaitement plusieurs langues. Pourtant, je dois dire que la lecture en français ne m’a pas procuré la même émotion qu’en hongrois. Ces propos ne sont pas à la gloire des traducteurs, pourtant la traduction de Chantal Philippe n’est pas en cause, ici. Elle a également traduit La porte et j’ai pris un plaisir infini dans sa lecture en français. L’explication vient sans doute de ma subjectivité. C’est le vif souvenir de mon plaisir juvénile à la saveur de certaines tournures de phrase, des sons qui vibrent toujours à mon oreille, qui en sont la cause.

Abigaël est un véritable bijou. Je remercie de tout mon cœur les éditions Viviane Hamy pour avoir décidé de faire profiter de ce roman les lecteurs français, en l’honneur du centième anniversaire de la naissance de l’immense écrivain hongrois.

=> Quelques mots sur l’auteur Magda Szabo

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