La route de la Kolyma – Voyage sur les traces du goulag
Editions Belin – 2012
Le nom de Kolyma ne parle pas forcément à tout le monde. Le Goulag, si. La Kolyma, c’est la Sibérie orientale, le bout du bout, la pointe nord-est du continent asiatique. A l’école, je me rappelle avoir appris qu’en Sibérie, la végétation était du type steppe ou toundra. Je me rappelle des photos de plaines enneigées à perte de vue. Des montagnes ? Pas dans ma mémoire. Pourtant, à la Kolyma, il n’y a que ça. Les monts culminent à 1962 mètres d’altitude, sous un froid de -50°C l’hiver.
Nicolas Werth, historien français spécialiste de l’URSS, souhaite créer un musée virtuel sur le Goulag. Il s’est rendu en Sibérie orientale en 2011 dans cet objectif, accompagné de sa fille et de deux spécialistes russes de la question, membres de l’association Memorial qui lutte contre l’oubli. Dans La route de la Kolyma, il raconte au jour le jour un voyage de trois semaines passé entre Magadan et Iakoutsk, sur les traces des anciens camps staliniens.
Nous prenons la direction de « Shanghai ». A mesure que nous nous approchons, nous découvrons des vestiges d’habitat qui me rappellent la « zone » de Soutchan, petite ville de l’Extrême-Orient soviétique, dans une scène du beau film de Vitali Kanevski, Bouge pas, meurs, ressuscite : carcasses rouillées de conteneurs qui servaient de logement, baraquements en torchis défoncés mais où, les portes aux deux extrémités du bâtiment ayant été depuis longtemps arrachées, on distingue encore le long couloir central qui desservait les dortoirs.
Entre témoignages, descriptions apocalyptiques et extraits de chefs d’œuvres de Varlam Chalamov, Evguénia Guinzbourg et d’autres rescapés des camps du Goulag, ce documentaire donne une idée stupéfiante des conditions de vie dans la région. Trois époques y sont décrites : la période stalinienne, les quarante années qui ont suivi et la catastrophe économique intervenue rapidement après la Perestroïka.
Si les Goulags et la Grande Terreur des années 1937-38 sont au programme d’histoire dans les lycées français, aucun Soviétique né après la mort de Staline n’en avait entendu parler jusqu’en 1991. Pourtant, on estime à un Soviétique sur six les adultes condamnés à cinq, dix voire vingt-cinq années de travaux forcés. Après leur libération, les survivants avaient interdiction de quitter la Kolyma. Leurs descendants sont tous nés sur place. Jusqu’à l’abandon des mines aurifères par le régime russe post-communiste de Russie Unie, l’économie sibérienne était plutôt florissante et attirait même des Russes aventuriers. Mais dans les vingt dernières années, la région a perdu 80% de sa population. Plus d’écoles, plus d’hôpitaux, plus de transports. Une mort économique, une population qui vit dans des conditions désastreuses, quelques initiatives individuelles pour perpétrer le souvenir des temps anciens, alors que des anciens camps, il ne reste plus rien.
Voilà le tableau que dresse Nicolas Werth dans cet essai passionnant. Une lecture facile, un documentaire court et efficace, une page d’Histoire à ne pas oublier.
Musée virtuel du Goulag : http://museum.gulagmemories.eu/