La défense

la défenseSteve Cavanagh

La défense

Bragelonne – 2015

 

Même l’éditeur affirme sur la quatrième de couverture l’étonnante ressemblance entre ce premier roman de Steve Cavanagh et un bon thriller de John Grisham. S’il s’autorise à reproduire l’argumentation du journaliste du Irish Independant, c’est que ça doit être vrai. Et en effet, pour moi qui ai lu une grande majorité des livres de Grisham, La défense m’a projetée dans un univers semblable.

Pauvre Cavanagh, démarrer sa carrière d’écrivain par une telle comparaison. Heureux Cavanagh, car si cette comparaison est osée, dangereuse même, il tient le challenge haut la main !

La défense, c’est l’histoire d’un avocat en perdition, alcoolique et chassé de chez lui par son épouse. Un beau jour ou plutôt un jour funeste, il se retrouve coincé dans son café préféré par la mafia russe. Volchek, un parrain de l’organisation, voit son procès démarrer le jour-même. Un mafieux repenti doit témoigner, ce qui entraînera inexorablement sa perte. Le marché est simple. Eddie Flynn doit réussir la défense de Volchek ou mourir, ainsi que sa fille de dix ans qui vient d’être enlevée elle aussi. L’avocat a quarante-huit heures pour sauver leurs vies.

Ainsi débute ce thriller au rythme et aux coups de théâtre incroyables. Volchek est entouré par une équipe insensible à toute compassion. Le FBI, omniprésent, protège le procès du siècle. La procureure générale, brillante, s’est préparée pour gagner. Ce procès est perdu d’avance et tout le monde le sait. Mais ce que les différents acteurs ne savent pas, c’est qu’Eddie est un ancien escroc : il a plus d’un tour dans son sac.

L’histoire est racontée à la première personne par Eddie lui-même. Et le lecteur se sent bien dans la peau du narrateur. Le temps de lire les 377 pages du roman, il revêt l’habit d’un avocat brillant, rendu exceptionnel par les circonstances qui l’obligent à donner le meilleur de lui-même. Cavanagh l’embarque dans l’histoire à la vitesse de la lumière, comme s’il lui achetait une place pour un tour de montagne russe.

Bien sûr, sans les contacts que possède Eddie dans le tribunal ou à l’extérieur, l’histoire perdrait de sa saveur. Mais on pardonne à Cavanagh ces facilités de scénario, tant l’intrigue est bien ficelée, le rythme soutenu et les rebondissements nombreux et crédibles.

La défense est son premier roman. J’espère qu’il ne restera pas en si bon chemin.

=> Quelques mots sur l’auteur Steve CAVANAGH

Les intéressants

Les intéressantsMeg WOLITZER

Les intéressants

Éditions rue fromentin, 2015

 

Voilà un roman qui me laisse bien perplexe. Je suis partagée entre deux sentiments : celui de ne pas y avoir trouvé d’intérêt et celui d’être convaincue que je ne l’oublierai pas facilement. Quel paradoxe !

Les intéressants raconte l’adolescence et la maturité de six américains de New-York entre 1977 et aujourd’hui. Ash, Cathy, Jules, Ethan, Goodman et Jonah se rencontrent dans un camp de vacances découvreur de talents, Spirits-in-the-woods. Ils y forment un club, le club des intéressants justement. Seuls les aléas de la vie arriveront à les séparer au cours des décennies qui suivront.

Meg Wolitzer décrit les succès, les échecs et les combats intérieurs de ses héros, à travers le regard de trois d’entre eux, Ash, Ethan et Jules. Ash et Ethan symbolisent la réussite professionnelle, sociale et financière. Jules, observatrice des succès de ses amis, un brin jalouse, a une vie beaucoup plus standard. Seule la générosité de ses amis lui permettra de rester habiter dans New York, contrairement à de milliers de banlieusards.

Tout au long des 564 pages que dure ce récit, le lecteur va être témoin des joies, drames et échecs des différents personnages. De nombreux sujets de société sont abordés : l’adolescence, la sexualité, les liens de famille, la maladie, l’abus d’autrui. Des sentiments comme le doute, la douleur, la générosité, la jalousie. Ce livre est un hymne à l’introspection, à l’amitié et à l’amour.

L’histoire ne manque pas d’intérêt. Je me suis surprise à comparer le livre à un film de Woody Allen des années 1975-1980. Et c’est peut-être par là qu’il pêche : il est tellement psychanalytique, tellement new-yorkais qu’il pourrait passer pour synopsis d’un film du grand cinéaste américain. Seulement un film se visionne en deux heures, tandis qu’un roman d’une telle longueur se lit en plusieurs jours.

Pour résumer, Les intéressants est un bon livre psychanalytique, mais sa longueur lui fait perdre de sa force.

=> Quelques mots sur l’auteur Meg WOLITZER

Ode à une fourchette abandonnée sous un caniveau gris par un jour de soir ensoleillé

Ô toi, dont les multiples dents quadriphages ont conquis mon regard poilu,
Toi, de métal construit, tel que murmuré dans les ateliers de Zlodikarpathon,
Fourchette humble, à l’égo surdimensionné et aux pieds velus,
Fourchette cruelle et digne de la douceur d’un Galagloperdros grognon,

Le jour où tu sera dévorée, vivante et inerte, par la grande bête de Kallos aux piques et aux grandes pattes,
Tu ne crieras à ce moment précis qu’un mot, prononcé par les Vogrobls autrefois, « Karpathes ».

Et tu n’es pas revenu

Et tu n'es pas revenuMarceline LORIDAN-IVENS et Judith PERRIGNON

Et tu n’es pas revenu

Grasset, 2015

 

Les témoignages des rescapés des camps de concentration durant la seconde guerre mondiale sont nombreux. Parmi les plus connus, il y a celui, pris sur le vif, de Primo Levi, ou celui écrit avec cinquante années de recul par Jorge Semprun. Et tu n’es pas revenu, le livre de Marceline Loridan-Ivens, est plus qu’un témoignage. Il s’agit d’une réponse à la dernière lettre que Marceline recevra de son père, tandis qu’elle lutte pour sa survie à Birkenau et lui pour la sienne, à Auschwitz.

Ce billet que son père réussira à lui faire passer, Marceline en a oublié le contenu. « Ta lettre […] me parlait probablement d’espoir et d’amour mais il n’y avait plus d’humanité en moi, j’avais tué la petite fille, je creusais tout près des chambres à gaz, chacun de mes gestes contredisait et enterrait tes mots. » L’espoir, l’amour ou l’avenir sont autant de noms vides de sens, dans un camp où « le futur dure cinq minutes ». Marceline revenue à la vie est hantée par cet ultime message d’amour de son père, tout comme par sa prophétie formulée à Drancy, peu après leur arrestation « Toi tu reviendras parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas. »

Pourquoi est-ce elle qui est revenue, alors que tout le monde attendait que ce soit le père ? Comment se reconstruire, aux côtés des êtres aimants qui ne peuvent pas comprendre l’horreur ? Ils ne peuvent pas la comprendre, mais ils en meurent, des années plus tard, comme Michel ou Henriette, « morts des camps sans jamais y être allés ».

Marceline Loridan-Ivens écrit ce livre à quatre-vingt six ans, après être devenue une cinéaste accomplie. Au travers de ses films qui militent pour la libération de peuples, elle aura longtemps espéré régler le problème juif. L’avenir lui prouve que rien n’est réglé. Même Israël, après n’avoir été longtemps qu’un pays opprimé, devient un pays suspect aux yeux des opinions publiques.

Et tu n’es pas revenu est une longue confession de Marceline Loridan-Ivens. Elle interroge le passé et le présent. Elle voudrait fuir le monde pour retourner à son enfance, au cocon dans lequel elle vivait entourée de l’amour de son père. Mais la prophétie de celui-ci l’en empêche. « J’ai vécu puisque tu voulais que je vive. ». Aussi, son dernier message est-il destiné à ses lecteurs. Elle aimerait pouvoir penser, maintenant qu’elle est à son tour sur le départ, que ça valait le coup de revenir des camps.

Grand prix du documentaire ELLE 2016

=> Quelques mots sur l’auteur Marceline LORIDAN-IVENS

=> Quelques mots sur l’auteur Judith PERRIGNON