Disparaître

Lionel Duroy

Disparaître

Mialet-Barrault Editeurs – 2022

Il a soixante-dix ans. Il est épuisé par la vie. Il imagine sa mort et souhaite la vivre dans la solitude, aux antipodes des siens. Voici le point de départ du dernier ouvrage de Lionel Duroy, plus vaillant et sportif que jamais. Un livre en deux parties : un repas d’adieu autour de ses quatre enfants et le journal de son périple en vélo, du Ventoux où il habite jusqu’à Stalingrad – Lionel Duroy vit dans ses souvenirs, tant familiaux que littéraires ou historiques.

Quel immense conteur… Rien que l’immersion dans son intimité, en première partie, laisse pantois. L’auteur y met tout ce qui le rend détestable aux yeux de sa famille, toutes les déchirures que son obstination à l’autofiction induit, de livre en livre. Tout l’amour, aussi, qu’il porte à ses enfants qui le lui rendent, un peu malgré eux. L’homme meurtri par la vie a toujours justifié ses écrits par leur action salvatrice, on le sait bien. Dans Disparaître, il affronte directement ses personnages. Le récit est tellement réussi que la violation, fictive ou réelle de l’intimité familiale, est glaçante de réalisme.

Dans la deuxième partie de son roman, Lionel Duroy s’éloigne des souvenirs familiaux pour nous offrir son périple en vélo, plus de 3000 kilomètres à travers l’Europe retranscrits sur ses cahiers de notes, quasiment en direct sous nos yeux. On retrouve le talent du narrateur d’Echapper qui sait transmettre l’amour de la littérature et la curiosité insatiable qui l’anime. Peu à peu, ce ne sont plus les kilomètres de bitume ou de terre qui défilent sous les roues de son Singer, ce sont les pages des romanciers oubliés, des pans entiers de l’histoire, ceux qui ont forgé l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui. Et Lionel Duroy de suivre la trace de ces romanciers, de nous entraîner à sa suite, dans des envolées narratives irrésistibles. Avec Lionel Duroy, c’est bien de voyage qu’il s’agit. Et de quel voyage…

Deux mois après la parution de Disparaître, la nouvelle de la mort de Duroy ne nous est pas encore parvenue. Il poursuit peut-être sa route en vélo ou il a trouvé une bicoque à son goût au bord du Danube et s’y est installé. Une chose est certaine, il a déniché de nouvelles perles rares au fond d’une librairie ou d’un marché aux puces. Quel que soit le lieu où il se trouve présentement, j’ose espérer qu’il y puise son inspiration pour un prochain ouvrage. Car Duroy le conteur ne peut pas disparaître. Il est éternel.

Quelques mots sur l’auteur Lionel Duroy

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Rouge Tandem

Ln Caillet 

Rouge Tandem

L’Astre Bleu Editions – 2019

 

Les deux mots qui composent le titre du roman de Ln Caillet résument bien l’intrigue. Rouge, une jeune femme cabossée par la vie, refuse d’affronter la réalité et d’apprendre la cause de la disparition de ses parents. Elevée par Rose et Georges, ses grands-parents paternels, elle a toujours connu le tandem qui rouille au fond de leur garage. Un tandem qui a vécu bien des aventures. Le jour où Rose décide d’opérer le grand nettoyage de sa maison et de ces petits riens qui se sont accumulés au cours de sa longue vie, Rouge ressort le vélo pour raviver les souvenirs de l’aïeule. Elle essaie ainsi de maintenir la vieille femme en vie, sans se rendre compte de l’impact de cette démarche sur ses propres fragilités.

Ce roman est un petit écrin d’amour, à décliner à tous les temps de l’indicatif et de l’imaginaire. Le tandem, au centre du récit, permet à Ln Caillet de remonter le temps, d’aborder la montée du féminisme avant la Deuxième Guerre mondiale, de traîner sur les routes de France et des congés payés, d’évoquer la Résistance ou de frissonner selon les codes du polar. Il rapproche aussi la pétillante grand-mère de sa petite fille, cicatrise les plaies à vif, autorise enfin au lâcher-prise longtemps contenu. Voici donc un étonnant récit qui mélange les genres. Recueil de nouvelles, roman d’amour et roman à intrigue, passé et présent imbriqués, ce récit est cacophonique d’après Rose, ou plutôt polyphonique, comme la reprend Rouge. Car, comme Ln Caillet l’explique par la bouche de son héroïne, « pourquoi une œuvre littéraire devrait-elle forcément correspondre à un genre, une norme, entrer dans une classification ? Pourquoi une histoire doit-elle forcément être cataloguée pour avoir le droit d’exister ? »

Je découvre l’univers d’écriture de Ln Caillet, mais la romancière en est à son huitième livre avec Rouge Tandem. Si j’ai regretté quelques manques de profondeur dans l’évocation de certains sujets, l’écriture, elle, souvent métaphorique, prouve une certaine maîtrise stylistique.

La vieille dame but une délicate gorgée de thé, reposa sa tasse, mais garda les mains serrées autour. Ses doigts étaient déformés par l’usure et, sur sa peau parcheminée, des veines dessinaient d’innombrables chemins, une carte topographique palpitante.

L’autrice se lance aussi, par moments, dans des formes d’écriture poétique que seuls l’amour inconditionnel et les recettes de cuisine permettent. Savez-vous seulement préparer les gâteaux de foies de volaille ?

Des foies, le fiel tu prélèveras, sinon amer tu seras
Rose en tunique bleu turquoise parsemée de petits canards blancs
Crème fraîche entière et pas à moitié
Une petite tâche sur le canard blanc, un œil de sang
Rien ne vaut les hachoirs manuels d’antan

En refermant ce joli roman plein de charme, je n’ai eu qu’une seule envie : tendre la main à Rouge et l’aider, sans béquilles ni fausses excuses, à troquer enfin la grisaille de son spleen pour les couleurs vives des tenues vestimentaires de son aïeule. Lorsque l’on a choisi de s’appeler Rouge, ne doit-on pas inonder son prénom de lumière ?

=> Quelques mots sur l’autrice Ln Caillet