Un loup pour l’homme

Brigitte Giraud

Un loup pour l’homme

Flammarion – 2017

 

Ecrire la guerre d’Algérie telle qu’entraperçue par les soldats de deuxième classe arrachés à leur famille pour un service militaire de deux ans, voilà le pari littéraire de Brigitte Giraud. Et c’est de toute beauté.

Entraperçue est bien le mot. La romancière ne s’intéresse en effet au conflit armé qu’une fois les soldats blessés et convoyés vers l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès. Ses héros sont des planqués. Infirmier ou cuisinier à l’hôpital, ils ne voient la guerre qu’à travers le prisme réducteur de leur métier. Certes, Antoine va parfois chercher les blessés sur le terrain, enveloppe les morts dans des linceuls, soigne les amputés, les déchirés et les prostrés. Il palpe la violence, menaçante, au-dessus de l’hôpital. Elle finit même par le hanter lorsqu’il est chargé de soigner Oscar, rendu muet par les scènes d’horreur et l’amputation. Mais Antoine n’en a pas conscience au point d’interdire à sa femme Lila de venir le rejoindre lorsqu’elle décide d’accoucher à ses côtés.

Voilà la force de ce livre. Brigitte Giraud raconte avec la pudeur de ces jeunes appelés ce qu’ils ne savent pas, ce qu’ils perçoivent à peine, ce qui les dépasse totalement. Tout en restant en retrait des personnages, en tant que narratrice, elle insère l’Histoire dans les flashs que ces soldats perçoivent mais sont incapables d’assembler pour former une vision d’ensemble. La romancière met ainsi en évidence l’absurdité de leur présence sur le sol algérien.

Quand, en septembre, Ivan fait courir le bruit du Manifeste des 121, Martin et Joe avouent leur ignorance. A l’hôpital, ce n’est pas le genre d’information qui se répand.  […] Ils ignorent que l’opinion française commence à basculer, des rumeurs arrivent jusqu’à eux, mais leur quotidien ne change pas. Il faut répondre à l’appel chaque matin. Décharger les camions, ouvrir les boîtes de cassoulet, panser les blessés et conduire le colonel dans des lieux de plus en plus secrets.

Le rythme de l’intrigue est lent. Aussi lent que l’est une journée aux cuisines, dans la fournaise de l’été algérien. J’ai été parfois écœurée par le manque d’action, probablement autant que le sont ces soldats désœuvrés qui ne comprennent pas ce qu’ils font dans ce pays étranger, loin des zones de combat. L’arrivée en ville de Lila sonne comme une incongruité dans ce monde masculin. C’est doux, apaisant et en même temps déplacé. C’est désagréable et d’une force incroyable. L’élément qui permet au lecteur de palper la complexité des liens sociaux. Soldats français, harkis, pieds noirs… Le racisme et la peur qui imprègnent bientôt les colons, que subissent les harkis. Les soldats de deuxième classe ne sont que des pions dans un conflit dont ils ne comprennent rien et leur prise de conscience progressive est puissante.

Un loup pour l’homme raconte la guerre, celle des exécutants. Pas de héros, dans ce roman. Pas d’actions décisives. Juste des appelés qui n’ont rien demandé à personne. Vingt mille d’entre eux vont perdre la vie dans ce conflit. Qui est le loup ?

=> Quelques mots sur l’auteur Brigitte Giraud

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