Une longue impatience

Gaëlle Josse

Une longue impatience

Les éditions Noir sur Blanc, 2017

 

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, quelque part sur les côtes bretonnes. A l’âge de seize ans, Louis fugue de chez lui pour ne plus revenir. Pour sa mère, Anne, débute une longue suite de nuits et de jours d’attente, sur la falaise, dans la maison qu’ils ont partagée avant son remariage avec le pharmacien du village, au port, partout où elle pourrait avoir de ses nouvelles.

Quelle beauté que la poésie des mots de Gaëlle Josse !

Chaque jour je me demande pourquoi. Pourquoi Louis n’a pas laissé un mot, pourquoi il a décidé de partir en me laissant l’absence et le silence pour seul souvenir. Je voudrais comprendre pourquoi il me laisse dans la peine, dans l’ignorance, dans l’attente. Pourquoi il m’empêche de vivre, en réduisant mon existence au guet des bateaux qui arrivent, à cet espoir que je dois chaque jour inventer, à la force que je dois trouver en moi pour sortir par tous les temps, par tous les vents, pour faire semblant de vivre.

Véritable cri d’amour maternel, ce roman hurle l’absence du fils disparu. La mère hante les lieux des souvenirs et des retrouvailles possibles, sans espoir, avec comme seul moyen de tenir debout les lettres qu’elle lui envoie par la compagnie maritime qui l’a embauché, comme autant de bouteilles à la mer. Ces lettres sont, pour moi, les plus poignantes évocations de la douleur du roman, même si leur contenu semble en décalage avec l’humilité et la contrition qu’on attendrait d’une mère qui n’a su protéger son fils. Elle comble sa souffrance par la promesse d’un repas festif, comme s’il n’y avait qu’une ripaille pour le faire revenir. Comme s’il ne fallait pas évoquer le passé mais l’écraser au contraire sous une orgie des mets les plus fins. C’est d’autant plus surprenant qu’au fur et à mesure de ses souvenirs, on découvre la vie de désolation que mère et fils ont menée avant son remariage, union qui les a sortis de la pauvreté, certes, mais source de l’inévitable départ. Les seules variantes d’un courrier à l’autre, mis à part le dernier, peut-être (quel soulagement pour moi que ce dernier courrier…), ce sont les mets dont elle compose le repas gargantuesque. Mélange de son ancienne et de sa nouvelle vie, toutes les saveurs rustiques et raffinées de Bretagne sont promise par cette noyée qui n’a trouvé que la satisfaction du ventre pour ramener le fils à terre. Est-ce le signe d’une souffrance qui ne peut pas être exprimée autrement ?

Une longue impatience est l’histoire d’un véritable écartèlement. Déchirement entre son ancienne vie dont elle n’a pas fait le deuil et la nouvelle à laquelle elle ne s’est jamais adaptée. Entre son rôle de mère de ce grand fils absent et celui qu’elle joue auprès des deux petits qu’elle aime tout aussi tendrement. Sans parler de son souvenir du père de Louis, marin pêcheur, que la tendresse qu’elle porte au pharmacien ne lui permet pas d’oublier. Aucun vivant ne saura combler l’absence et l’attente, envers et contre tout. Surtout chez une personne qui se drape de silence pour survivre.

Le silence et l’attente. Seule une écriture poétique permettait d’évoquer ce thème sans lasser le lecteur. Gaëlle Josse a réussi cette prouesse avec une merveilleuse sensibilité.

=> Quelques mots sur l’auteur Gaëlle Josse

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2 réflexions sur “Une longue impatience

  1. J’ai tout lu de cette auteure….. et toujours cette délicatesse, cette sensibilité….. Une auteure qui est couverte d’éloges mais qui reste très discrète. J’ai eu la chance de la rencontrer l’année dernière. Elle est à l’image de son écriture : douce, délicate mais efficace 🙂

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