Ce coeur changeant

ce coeur changeant Agnès Desarthe

Ce cœur changeant

Editions de l’Olivier, 2015

 

Ce cœur changeant est le quatrième roman d’Agnès Desarthe que je lis. Comme à chaque fois, dès les premières lignes je suis happée par son style, dont je me délecte même d’avance tellement il me semble unique.

Le premier chapitre du roman donne le ton. On dirait du Maupassant. René de Maisonneuve, lieutenant français, obéit aux ordres paternels et rend visite à une famille danoise qui a une fille à marier. Trude Matthisen, la mère, se console de la perte de quatre de ses enfants plusieurs années plus tôt, en se gavant des sucreries à longueur de journée. Elle est devenue tellement obèse que les déplacements lui deviennent presque impossibles. Le père a choisi l‘alcool pour oublier. Kristina, livrée à elle-même, sans éducation, a libéré ses instincts. Son comportement est plus animal qu’humain. Tout ne semble que folie, outrancier, à la limite de la bestialité dans ce premier chapitre. Kristina est belle, elle convient à René qui la voit précipitée dans ses bras sans rechigner. Le contrat de mariage est d’ailleurs intéressant, lui aussi.

Ainsi est scellé leur destin. Quelques mois plus tard naît Rose, leur fille.

Rose est malaimée par sa mère qui l’abandonne. Son père ne sait pas comment s’occuper d’elle. À vingt ans, elle décide de partir seule à Paris. On est en 1909.

Plus innocente qu’une oie, la jeune fille passe de protectrice en protecteur durant ses premières années parisiennes. Elle frôle la mort par malnutrition, devient esclave de femmes ou d’hommes qui profitent d’elle. Son romantisme exacerbé la protège pourtant du désarroi, probablement aussi de la folie, jusqu’à ce qu’elle atterrisse chez une lesbienne féministe auprès de qui elle va enfin ouvrir les yeux sur la vie, sur sa vie.

À travers les yeux candides de Rose, le lecteur découvre le Paris bohème des années 1910 à 1930. Le salon de sa compagne Louise est empli d’acteurs et de poètes avant-gardistes, hommes ou femmes. Ce cœur changeant, allusion à un poème de Guillaume Apollinaire, en est une apologie. Qui est Rose ? Où va-t-elle ? Les évènements et les rencontres vont finir par l’aider à comprendre ce qu’elle veut et à se fixer un but.

Agnès Desarthe sait laisser le lecteur imaginer les sensations qu’elle effleure à peine de sa plume, sans les nommer.

« Elle ébouriffait [ses cheveux], les faisait gonfler les déployait, les déroulait, les pressait, les tirait. Chaque millimètre de peau chahutée depuis les racines s’irriguait de caresses, le crâne de Rose ondoyait et coulait, vibrait et s’alanguissait, la fontanelle ouverte comme une seconde bouche, les tempes écartées, la nuque molle. »

Le texte est baroque, sublime. Les images vibrantes d’intensité.

Roman d’apprentissage version femme, Ce cœur changeant est un hymne au romanesque. Une écriture divine. Un roman à la fois philosophique et historique.

Il a reçu le Prix littéraire du « Monde » 2015.

=> quelques mots sur l’auteure Agnès Desarthe

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