Minuit, Montmartre
Barnard Grasset – 2017
Masseïda erre dans Paris, affamée et effrayée. Un seul être-vivant prend pitié d’elle : Vaillant, un des chats du peintre Théophile Alexandre Steinlen. Le chat va guider la jeune femme vers un cabaret artistique. Masseïda épuisée y pénètre et demande un verre d’eau. Elle s’assied dans un coin sous le regard lubrique des clients, la plupart des artistes. Lorsqu’elle se lève pour danser et chanter, le public est subjugué. Sans le savoir encore, elle s’est ouvert les portes de l’atelier de peinture de Steinlen, deviendra son dernier modèle et sa muse. On est en 1909.
Les mots de Steinlen reflétaient le zinc des bistrots, la rouille des manivelles, la mousse des vieux lavoirs. Il raconta le Maquis, les maisonnées que des écailles de peintures vives rendaient semblables à des crèches de Noël, les enfants du bon Dieu, les jeunes filles qui relevaient leurs jupons contre quelques pièces et qui rêvaient d’amour comme dans les contes de fées. Il dessina, à l’encre de sa voix, les mains des ouvriers écorchées par la cadence, les fruits qui roulaient des étals, les vieux communards qui ruminaient la défaite, les joueurs de guitare qui arpégeaient le soir.
Le lecteur va découvrir une tranche de vie de Masseïda et les dernières années de Steinlen. Je précise dès maintenant que Masseïda a réellement existé et qu’en surfant sur internet, j’ai trouvé quelques portraits que Steinlen a peint d’elle. C’est une jeune femme d’une grande beauté, que le pinceau du peintre a su imprimer sur la toile avec une réelle délicatesse.
Étrange livre que ce roman. Un texte poétique, écrit à la manière d’un conte où chats et humains cohabitent et interagissent sur un pied d’égalité. Le lecteur flotte dans des nimbes éthérées de peinture, marche inlassablement dans les rues d’un Montmartre pourrissant, s’abreuve d’absinthe. C’est beau, de haut niveau stylistique.
Il fallait se jeter dans la fournaise, accepter le risque qu’impliquait la couleur, cette sorcière qui vous nouait les tripes, vous chahutait le cœur. La couleur que certains malheureux finissaient par manger, faute d’avoir su la dompter. Ce que les tubes contenaient, c’était de la lave, des saisons liquides.
Et pourtant. Quelque chose manque pour lier le tout. Comme si Julien Delmaire était resté en dehors de son sujet. Les personnages sont émotionnellement assez vides, vraisemblablement trop travaillés à la pointe du stylo. Le texte est donc magnifique, mais manque d’empathie. Comme si on avait les couleurs, mais pas les saveurs. Je suis restée sur ma faim tout en me régalant avec les mots. Curieuse contradiction des sens ! Peut-être que l’explication est là justement, dans ce mot, sens. L’histoire est articulée autour du sens de la peinture, du sens de la vie, de la raison d’être chat, d’être peintre, d’être Montmartre. Mais l’âme du chat noir des affiches si connues de Steinlen n’est perçue qu’à travers le prisme de ses escapades parisiennes. L’âme de Paris est insaisissable, en cette veille de guerre mondiale, période de belle époque. Je n’ai pas non plus réussi à déceler l’âme de Masseïda dans ses désirs et ses choix. Seul Steinlen, peut-être, fait exception à cette règle, étant trop près de la tombe pour ne pas accepter de se laisser guider par les mots de l’auteur ou la main de sa dernière maîtresse.
Je suis donc sortie à la fois captivée et déçue par Minuit, Montmartre. Dans le même genre biographique et le même éditeur, j’avais beaucoup aimé Berthe Morisot : le secret de la femme en noir de Dominique Bona (Grasset, 2000).
=> Quelques mots sur l’auteur Julien Delmaire