Budapest 1956
La révolution vue par les écrivains hongrois
Editions du félin – 2016
Voici une anthologie dont j’attendais beaucoup. Par intérêt pour l’Histoire, pour commencer. Par curiosité plus personnelle, aussi : je suis la petite-fille de Ferenc Karinthy, un des auteurs choisis par Guillaume Métayer pour témoigner ; L’âge de fer figure en bonne place dans le recueil, dans la traduction de mes parents, Judith et Pierre Karinthy. Les présentations sont faites.
Dix-sept écrivains hongrois sont rassemblés dans cette anthologie pour témoigner de la révolution d’octobre 1956 et de l’oppression soviétique qui l’a suivie. Les auteurs, tous contemporains des évènements sauf deux, évoquent les jours noirs, le contexte sociopolitique qui y a conduit et les deuils qui en ont découlé.
Les textes sont inégaux, hélas. Certaines traductions sont maladroites. C’est loin d’être la majorité, heureusement. Quelques nouvelles d’une grande beauté justifient à elles seules la lecture de cet ouvrage. J’en citerai deux. Dans Prières, Istvàn Örkény entraîne le lecteur dans l’intimité d’un couple confronté au deuil. Les mots simples de parents, aux différentes étapes de la prise de conscience, frappent aussi durement que leurs silences. Le texte de Tibor Déry, L’heure des comptes, rassemble dans un même wagon en route vers la frontière autrichienne les fuites sous toutes leurs formes, quelques jours après le passage des chars russes dans les rues de Budapest. Un condensé d’opinions analysées avec finesse. La liberté ne se trouve pas que de l’autre côté du rideau de fer.
Quelques poèmes ont également leur place entre deux textes en prose. Une phrase sur la Tyrannie de Gyula Illyés introduit d’ailleurs le recueil. Cette phrase dure le temps de lire cent quatre-vingts vers ; la tyrannie mérite qu’on s’y arrête et qu’on en parle.
Budapest 1956 – Budapest 2016. Le soixantenaire de la révolution hongroise sonne douloureusement aux oreilles des militants de la démocratie. Comment serait-il possible, fin 2016, d’évoquer les deux cent mille Hongrois qui ont fui le pays en 1956 (2 % de la population de l’époque) sans penser au referendum d’octobre 2016 et au refus de 95 % des électeurs de relocaliser en Hongrie des réfugiés syriens en proie aux massacres de masse dans leur propre pays ?
Un extrait issu de L’heure des comptes de Tibor Déry m’a particulièrement frappée. Je le reproduis ici en hommage à ces peuples du Moyen-Orient qui ont peut-être tenté le même périple que ceux qui les rejettent aujourd’hui. Il donne une idée de l’organisation du passage à l’Ouest, tout le long de la frontière austro-hongroise.
Leur hôte demandait deux mille forints par tête, payés en avance, y compris pour les enfants. […] Pas de marchandage, dit leur hôte, lui aussi devait remettre une bonne partie de l’argent, tout travail mérite salaire. Ce n’est pas sûr qu’ils puissent partir la nuit même, il n’a pas encore reçu de signal comme quoi la route était libre. Si le départ était repoussé au lendemain soir, ils devraient passer la journée dans la grange, par contre il ne pouvait donner à manger à personne. À la question de savoir si on pouvait traverser la frontière en sécurité, il haussa les épaules ; si la route était sans danger, il ne demanderait pas deux mille forints. Trois jours auparavant, les gardes-frontières avaient abattu un homme de son groupe et blessé un autre, mais le reste avait réussi à passer de l’autre côté.
=> Interview de Guillaume Métayer, France Culture, 25 novembre 2016, Poésie et Vérité