Ce pays qui te ressemble

Tobie NATHAN

Ce pays qui te ressemble

Editions Stock – 2015

 

Que de choses à dire, sur ce roman au goût d’Orient si prononcé ! A coup sûr, il est impossible d’y rester indifférent.

Tobie Nathan commence son roman comme un conte. En 1925, entre religion et superstition, les Juifs de la ruelle Haret el Yahoud, ghetto du Caire, survivent tant bien que mal. Le lecteur découvre la vie de la communauté, le pittoresque des relations familiales, les croyances et les superstitions proches de celles des Musulmans qu’ils côtoient depuis des siècles.

Les Juifs d’Egypte, ceux en costume de lin ou les traîne-savattes en galabeya, sortaient tous du même cloaque, ces quelques ruelles bourrées de synagogues et de tombeaux de saints, que l’on appelait la ‘hara, la ruelle.

Motti est aveugle ; pour gagner quelques pièces, il tient de mémoire la comptabilité des artisans du ghetto. Esther, sa femme, est possédée. Elle fait appel à une sorcière musulmane pour enfanter – seul manque à son bonheur. De ce rite démoniaque va naître Zohar, un enfant surprenant que le lecteur va suivre jusqu’en 1952.

Roman et Histoire mélangés, Zohar et ses compagnons reflètent le sort réservé aux Israélites en cette période si incertaine qu’ont été les années qui ont précédé le renversement du roi Farouk et l’établissement de Nasser au pouvoir. Zohar représente le Juif qui réussit, sommé de quitter le pays. Nino l’illuminé se convertit à l’Islam et se radicalise. Joe, Juif influent tant que l’Orient éblouissait le monde de son charme si unique, incarne la victime idéale.

La beauté de l’Orient est magnifiée par les autres personnages de l’histoire. Pour ne citer qu’elles, Jinane et Masreya, mère et sœur de lait de Zohar ou encore Khadouja la sorcière. Le style, conte aux saveurs poétiques subtiles, est un ensorcellement pour les sens.

C’est alors que la kudiya leva la main en direction des musiciens et que la voix de l’homme, un paysan sans âge en galabeya rayée, s’éleva à nouveau en imposant le silence.

« Aaaaa… Ô Nofal, ô Nofal, Ô Nofal… Ô Nofal, ô Nofal, ô Nofal… Ceux qui descendent sont heureux dans les profondeurs ; ceux qui montent s’épanouissent dans le ciel. Comme elle est belle, ses yeux noirs comme ceux du faon. J’ai vu la lune éclairer sa poitrine. Chaque maître de cérémonie possède sa propre vision. Aaaaah… Ô Nofal, ô Nofal, ô Nofal… »

Mais Ce pays qui te ressemble, c’est avant tout un cri d’alarme de Tobie Nathan. L’analogie entre les personnages du roman et l’auteur n’est pas à démontrer. Sa famille a dû fuir l’Egypte en 1957 suite à la révolution égyptienne et l’expulsion des Juifs. Il constate la cruauté des hommes et la dénonce.

Cette guerre ne finirait pas. Elle durerait toujours. Jusque-là les hommes ignoraient que la terre avait des propriétaires. Ils ont voulu s’emparer de ses entrailles. Ils ont déterré les momies, ont fait jaillir son sang noir. La terre ne leur pardonnera jamais. Cette guerre ne finira qu’avec le dernier des humains.

Il adresse une supplique aux divinités, toutes celles qui, dans l’Antiquité ou plus tard, ont bercé l’Egypte de croyances multiples.

Ô Dieu ! Ô Dieux ! Qui que vous soyez… Dieu des Juifs ou des Musulmans, des Coptes, des Grecs ou des Arméniens, dieux des Egyptiens, peut-être, si gracieux dans leurs fins dessins hiéroglyphes, Ô dieux ! N’avez-vous donc jamais pitié des hommes ?

Mais sa toute première prière, il l’adresse aux hommes d’aujourd’hui, finalement.

Frères égyptiens, je pense aux pyramides. On dit que nous, les Juifs, les avons bâties pour vous… Comme dans la formule des contes égyptiens, « cela fut, ou cela ne fut pas »… Ce ne sont pas des idoles, mais des rayons de soleil pétrifiés. Ne les abîmez pas. Je doute qu’il nous sera possible d’en construire de nouvelles.

C’est donc un récit très personnel qu’a écrit Tobie Nathan. Quelques longueurs m’ont ralentie dans la lecture : si la volupté des pages délibérément orientales m’a emportée, j’ai été moins sensible aux développements industrieux de l’histoire voire ennuyée par la répétition de certains élans amoureux de l’intrigue.

Le volet géopolitique en revanche, période pré-israélienne de l’histoire du Moyen-Orient, est passionnant et à découvrir absolument.

=> Quelques mots sur l’auteur Tobie Nathan

2 réflexions sur “Ce pays qui te ressemble

    • Ce n’est pas une lecture universelle comme Je vous écris dans le noir. Quelques passages longs, d’autres moins poétiques. Je l’ai lu comme un conte historique d’une certaine façon et lu ainsi, c’était une lecture sublime.

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