Désorientale

Négar Djavadi

Désorientale

Editions Liana Levi – 2016

 

Nous faisons connaissance avec Kimiâ, jeune Iranienne exilée à Paris, à l’hôpital Cochin, dans le service des inséminations artificielles. Tandis qu’elle attend son tour un tube de sperme à la main, elle se souvient de son enfance à Téhéran et raconte son histoire familiale ; à travers elle, c’est l’histoire de l’Iran du XIX° siècle à aujourd’hui que l’auteure nous présente.

Alternant pensées personnelles sur la procréation assistée et saga familiale, Négar Djavadi nous entraîne dans un Orient aux multiples facettes. Car l’Iran ne doit surtout pas être réduit à la folie islamique que condamne Betty Mahmoudi dans Jamais sans ma fille. En un petit siècle, ce pays est passé de l’ère des gros propriétaires influents possédant harem à la dictature laïque des Chah (la dynastie Pahlavi a duré 53 ans, de 1925 à 1979) puis à la monstrueuse dictature des Ayatollah qui sévit encore aujourd’hui. Négar Djavadi ne se contente pas d’un descriptif géopolitique ou d’une accusation des civilisations occidentales qui ont vendu des armes sous le manteau ; elle dresse un portrait social du pays, haut en couleurs. La mentalité des Iraniens n’a pas évolué avec le régime politique en place. La famille est et a toujours été, un mot sacré entre tous, malgré les tensions inter-individus. L’unité familiale dépasse largement le cercle de papa, maman, enfants. Chez les Iraniens, un cousin au deuxième ou troisième degré est accueilli n’importe quand, les bras grands ouverts. Il suffit qu’il appelle ; il lui est inutile de rappeler les liens familiaux, puisque tout se sait, puisque la mémoire est vivace et l’hospitalité sacrée.

L’Iran, un pays où les femmes restent cloîtrées chez elles et les hommes sont les seuls à subvenir aux besoins de la famille ? C’est peut-être vrai aujourd’hui, dans l’Iran des Ayatollah, sous le joug de la terreur. Ce n’est pas vrai des Iraniens avant la révolution islamiste, ni des Iraniens en exil aujourd’hui. Dans Désorientale, Négar Djavadi dresse un portrait qui ne semble en rien caricatural, d’un couple au fonctionnement tout à fait différent. Où la liberté des femmes est le maître mot.

J’ai eu quelques difficultés à entrer dans l’histoire, tellement les mélanges d’époques, les non-dits et les troubles de l’héroïne narratrice rompent la limpidité de l’intrigue. Mais comme d’un chapitre à l’autre, la construction reste similaire (et une fois comprise, elle devient logique et attendue), je me suis totalement investie dans le déroulement des évènements. Et ils sont nombreux, complexes et douloureux, comme l’est le destin de ce pays tiraillé entre l’Occident opportuniste, l’Irak voisin et l’Islam intégriste qui tous convoitent le pétrole sans se préoccuper du devenir de la population ballotée.

Ce roman est magnifique. Un bilan équilibré sur l’Iran du XX° siècle. De quoi contrebalancer toutes les lectures faciles, musée des horreurs islamistes. Le peuple persan n’a pas oublié qui il est et n’est pas prêt de l’oublier.

=> Quelques mots sur l’auteur Negar Djavadi

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